Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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MES SOUVENIRS<br />
D’horribles souffrances physiques étaient venues, depuis, se<br />
joindre à mes maux intérieurs. Ces souffrances étaient telles que<br />
plus d’une fois je m’étais crue arrivée au terme de mon existence.<br />
C’étaient des douleurs sans nom, intolérables, qui, je l’ai su<br />
depuis, constituaient un danger imminent. J’y échappai par un<br />
miracle inouï! J’en avais fait l’aveu à Sara, qui m’engageait impérieusement<br />
à avoir recours au médecin, me menaçant d’en avertir<br />
sa mère, ce que je refusai obstinément.<br />
Ces souffrances se manifestaient surtout la nuit et m’ôtaient<br />
jusqu’à la possibilité de pousser le moindre cri. Qu’on juge de ma<br />
frayeur! Je pouvais mourir ainsi, sans avoir articulé une plainte!!<br />
Heureuse de ce prétexte, qui n’était que trop vrai, je priai un<br />
soir mon amie de partager mon lit. Elle accepta avec plaisir. Dire<br />
le bonheur que je ressentis de sa présence à mes côtés, serait<br />
chose impossible! J’étais folle de joie! Nous causâmes longuement<br />
avant de nous endormir, moi, les deux bras passés autour<br />
de sa taille, elle, reposant, le visage près <strong>du</strong> mien! Mon Dieu! Aije<br />
été coupable? et dois-je donc ici m’accuser d’un crime? Non,<br />
non!… Cette faute ne fut pas la mienne, mais celle d’une fatalité<br />
sans exemple, à laquelle je ne pouvais résister!!! Sara m’appartenait<br />
désormais!!… Elle était à moi!!!… Ce qui, dans l’ordre<br />
naturel des choses, devait nous séparer dans le monde, nous avait<br />
unis!!! Qu’on se fasse, s’il est possible, une idée de notre situation<br />
à tous deux!<br />
Destinés à vivre dans la perpétuelle intimité de deux sœurs, il<br />
nous fallait maintenant dérober à tous le secret foudroyant qui<br />
nous liait l’un à l’autre!!! C’est là une existence qui ne saurait<br />
être comprise! Le bonheur que nous allions goûter ne pouvait-il<br />
pas, par quelque circonstance imprévue, éclater au grand jour, et<br />
nous marquer au front de la réprobation publique! Pauvre Sara!<br />
Quelles terribles angoisses je lui ai causées!<br />
Le lendemain de cette nuit la trouva anéantie!!! Ses yeux,<br />
rougis par les larmes, portaient l’empreinte d’une insomnie cruellement<br />
tourmentée.<br />
N’osant braver ainsi le regard clairvoyant d’une mère, elle ne<br />
vit la sienne qu’au déjeuner. Assurément, j’étais moins troublé,<br />
mais je n’avais pas la force de lever les yeux sur madame P…,<br />
pauvre femme qui ne voyait en moi que l’amie de sa fille, tandis<br />
que j’étais son amant!…<br />
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