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Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

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MES SOUVENIRS<br />

Vaincue enfin par ses prières, je partais doucement, mais non<br />

sans l’avoir plus d’une fois serrée contre ma poitrine. Ce que<br />

j’éprouvais pour Sara, ce n’était pas de l’amitié, c’était une véritable<br />

passion!<br />

Je ne l’aimais pas, je l’adorais!<br />

Ces scènes se renouvelaient tous les jours.<br />

Souvent je me réveillais au milieu de la nuit. Alors je me glissais<br />

furtivement près de mon amie, me promettant bien de ne pas<br />

troubler son sommeil d’ange, mais pouvais-je contempler ce<br />

doux visage sans en approcher mes lèvres?<br />

Il en résultait que, après une nuit agitée, j’avais peine à me<br />

trouver éveillée, lorsque sonnait le réveil. Toujours prête la<br />

première, Sara venait à mon lit me donner le baiser d’adieu!<br />

Elle pressait les retardataires, faisait la prière et s’occupait<br />

ensuite à la coiffure des élèves. Je l’aidais dans ce travail, mais,<br />

hélas! je n’avais pas son adresse, ses soins délicats, aussi les<br />

enfants évitaient-elles soigneusement, autant que cela leur était<br />

possible, de se trouver près de moi.<br />

Cette besogne achevée, chacune achevait sa toilette. Pendant<br />

ce temps, j’allais avec Sara dire bonjour à M me P… L’excellente<br />

femme voyait avec la plus grande joie l’intimité qui régnait entre<br />

sa fille et moi, et nous en récompensait par mille attentions. Tout<br />

ce qui pouvait flatter nos goûts, elle nous le réservait comme surprise.<br />

Tantôt, c’était un fruit, le premier cueilli dans son jardin,<br />

tantôt c’était une friandise comme elle excellait à les faire!<br />

Un peu avant huit heures, Sara montait au dortoir pour<br />

échanger son peignoir contre d’autres vêtements. Je ne souffrais<br />

pas qu’elle le fît sans moi. Nous étions seules alors. Je la laçais, je<br />

lissais avec un bonheur indicible les boucles gracieuses de ses<br />

cheveux naturellement ondés, appuyant mes lèvres, tantôt sur<br />

son cou, tantôt sur sa belle poitrine nue!<br />

Pauvre et chère enfant! Que de fois je fis monter à son front la<br />

rougeur de l’étonnement et de la honte! Tandis que sa main écartait<br />

la mienne, son œil clair et limpide s’attachait sur moi comme<br />

pour pénétrer la cause d’une con<strong>du</strong>ite qui lui paraissait le comble<br />

de l’égarement, et cela devait être.<br />

Par moments, elle restait frappée de stupeur.<br />

Il était difficile, en effet, qu’il en fût autrement.<br />

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