Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN<br />
Nous sommes au 1 er novembre 185…, époque fixée pour la<br />
rentrée annuelle <strong>du</strong> pensionnat.<br />
Le lendemain de ce jour, je con<strong>du</strong>isis avec Sara toutes nos<br />
élèves à la messe <strong>du</strong> Saint-Esprit.<br />
L’église de L… possédait une tribune, dont une partie, celle<br />
<strong>du</strong> milieu, était réservée aux hommes; l’autre, celle de droite,<br />
nous appartenait.<br />
Elle en était séparée par une construction en planches assez<br />
élevée pour interdire toute communication.<br />
<strong>Mes</strong> fonctions commençaient. J’étais chargée spécialement des<br />
élèves les plus avancées. Sara s’occupait des plus jeunes.<br />
M me A… m’aidait un peu dans mes occupations. Elle venait régulièrement<br />
tous les jours au pensionnat, une heure le matin, une<br />
heure le soir. En réalité, j’étais à la tête de l’établissement, <strong>du</strong><br />
moins en ce qui concerne la partie scolastique, car, pour le reste,<br />
je ne m’en occupais guère. Sara et sa mère recevaient les parents<br />
et réglaient avec eux toute espèce de condition. C’était une<br />
corvée à laquelle j’étais heureuse de me soustraire.<br />
Nos pensionnaires occupaient deux dortoirs contigus: là,<br />
encore, j’avais la surveillance des grandes élèves, âgées quelquesunes<br />
de quatorze à quinze ans.<br />
Mon lit n’était séparé de celui de Sara que par une légère<br />
cloison. À nos pieds se trouvait la porte de communication qui ne<br />
se fermait jamais.<br />
La même veilleuse éclairait donc les deux dortoirs.<br />
Une fois la prière faite et les élèves couchées, nous causions<br />
souvent de longues heures, mon amie et moi. J’allais la trouver à<br />
son lit, et mon bonheur était de lui rendre ces petits soins que<br />
donne une mère à son enfant. Peu à peu je pris l’habitude de la<br />
déshabiller. Otait-elle une épingle sans moi, j’en étais presque<br />
jalouse! Ces détails paraîtront futiles sans doute, mais ils sont<br />
nécessaires.<br />
Après l’avoir éten<strong>du</strong>e sur sa couche, je m’agenouillais près<br />
d’elle, mon front effleurant le sien. Ses yeux se fermaient bientôt<br />
sous mes baisers. Elle dormait. Je la regardais avec amour, ne<br />
pouvant me résoudre à m’arracher de là. Je la réveillais.<br />
« Camille, me disait-elle alors, je vous en prie, allez dormir, vous<br />
auriez froid et il est tard. »<br />
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