Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN<br />
Les vacances touchant à leur fin, je pris la route de L…, cheflieu<br />
de canton, situé à l’extrême limite de mon département. J’y<br />
arrivai à la nuit close.<br />
La mère de M me A… m’attendait à ma descente de voiture et<br />
m’embrassa avec une effusion qui témoignait de sa nature expansive<br />
et pleine de franchise.<br />
Il est indispensable que je la fasse connaître.<br />
Veuve depuis plusieurs années, M me A… avait quatre filles,<br />
dont l’aînée était entrée en religion, au Sacré-Cœur; la seconde,<br />
M me A…, s’était vouée à l’enseignement et dirigeait, avec sa plus<br />
jeune sœur, M lle Sara, le pensionnat de L…<br />
Ma présence avait été nécessitée par le mariage de M me A…<br />
Elle avait épousé depuis peu un ancien professeur qui, lui-même,<br />
était maître de pension dans la localité. Ne pouvant que rarement<br />
abandonner la maison de son mari, la jeune femme avait dû<br />
songer à se faire remplacer près de sa sœur Sara. Cette dernière,<br />
n’étant pas reçue, ne pouvait pas rester seule à la tête d’une institution<br />
quelconque. La maison comptait environ soixante-dix<br />
élèves, dont une trentaine pensionnaires. Comme toujours, les<br />
détails intérieurs restaient confiés à M me P…, qui s’en acquittait<br />
avec l’habileté d’une ménagère consommée. Nous devions, Sara<br />
et moi, ne nous occuper uniquement que des classes.<br />
Habituée depuis longtemps à la direction de sa sœur qui lui<br />
laissait une autorité absolue, M me P… ne me voyait pas arriver<br />
sans une certaine appréhension. Aussi, malgré l’exemple de sa<br />
mère, son accueil fut-il un peu froid, embarrassé. Je sentais<br />
qu’elle m’étudiait attentivement. Tout, jusqu’à mes moindres<br />
gestes, lui était un sujet d’examen. À la fin <strong>du</strong> dîner, la confiance<br />
s’était tout à fait établie entre nous trois.<br />
Ma pâleur maladive avait frappé. On me questionna amicalement<br />
sur ma santé, et M me P… entrant en des détails tout à fait<br />
intimes, me fit promettre de la regarder désormais comme une<br />
seconde mère. Son plus cher désir, disait-elle, était de me voir<br />
avec Sara dans les termes d’une affection fraternelle.<br />
J’étais très fatiguée, Sara me con<strong>du</strong>isit elle-même à ma chambre<br />
attenant à la sienne. Là, elle s’enhardit jusqu’à m’embrasser, ce<br />
qui acheva de lui concilier mon amitié.<br />
Une fois seule, je me félicitai sincèrement <strong>du</strong> bonheur qui<br />
m’était échu. Tout me faisait présager que j’allais être heureuse<br />
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