Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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MES SOUVENIRS<br />
Ma mère était dans le ravissement; mais assurément personne<br />
n’en fut plus heureux que mon vénéré bienfaiteur, M. de Saint-<br />
M… Mon succès lui était aussi sensible que s’il fût arrivé à l’un<br />
de ses enfants.<br />
Ce ne fut pas sans un serrement de cœur vraiment douloureux<br />
que je me séparai de mes intéressantes compagnes. En laissant la<br />
petite maison de D…, j’avais ressenti un affreux déchirement.<br />
C’était comme un pressentiment vague, indéfini, de ce qui<br />
m’attendait dans l’avenir.<br />
Ne laissais-je pas dans ces murs la paix, ce calme inaltérable<br />
que donne une conscience tranquille?<br />
N’allais-je pas avoir à lutter dans le monde contre des ennemis<br />
de tous genres? Et de cette lutte comment devais-je sortir?<br />
Je repris à B… ma modeste chambre et mes anciennes fonctions<br />
près de M. de Saint-M…, en attendant qu’il plût à M. l’inspecteur<br />
de m’assigner un poste. J’étais avec lui dans les meilleurs<br />
termes.<br />
Jamais sa bienveillance ne me fit défaut. C’était l’un de ces<br />
hommes rares, et vraiment digne de ses fonctions délicates, qu’il<br />
remplissait à l’honneur de l’instruction publique.<br />
Quelques mois s’écoulèrent de la sorte, lorsque m’arriva de la<br />
préfecture l’invitation de me rendre dans les bureaux de l’académie.<br />
« Mon enfant, me dit gaiement l’inspecteur, je crois que<br />
vous serez contente. J’ai à vous offrir un poste dans un pensionnat<br />
que je connais et où, je n’en doute pas, vous serez à merveille.<br />
M me A… est une personne d’un rare talent, en même<br />
temps que d’une honorabilité incontestable. Si les conditions<br />
énoncées dans sa lettre vous paraissent acceptables, répondez-lui<br />
immédiatement. De mon côté, je vous annoncerai chez elle. »<br />
Cette proposition me charma dès l’abord. J’avais consulté ma<br />
mère et M. de Saint-M…, qui m’approuvèrent fortement; l’un et<br />
l’autre y voyaient toutes les garanties suffisantes de bonheur<br />
désirables.<br />
J’écrivis à cette dame, qui me répondit qu’elle m’attendait les<br />
bras ouverts. J’avais dix-neuf ans et l’on doit savoir que, jusqu’à<br />
vingt et un ans, je ne pouvais exercer que comme institutrice<br />
adjointe. Ce sont les termes de la loi.<br />
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