Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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MES SOUVENIRS<br />
Nous approchions. Le sable nous brûlait les pieds. La soif se<br />
faisait sentir d’autant plus vive que nous avions maintenant sous<br />
les yeux la vue des flots argentés de l’Océan.<br />
Le magnifique spectacle qui s’offrait à nos regards ne peut<br />
être décrit; il faudrait pour cela une plume plus savante que la<br />
mienne.<br />
Il était tard. Après s’être reposé un peu sur le sable, on songea<br />
à satisfaire l’appétit que venait encore aiguillonner l’air vif de la<br />
mer.<br />
Les provisions furent déposées sur la plage et chacune y fit<br />
honneur. On avait songé à tout, mais on avait oublié l’eau. Où en<br />
trouver dans ce désert de feu? Je me dévouai au salut commun.<br />
Deux de mes amies m’accompagnèrent, et nous voilà à la<br />
recherche d’une source.<br />
Plus d’une heure s’écoula avant que nous l’eussions trouvée.<br />
Cette vue nous rendit folles de joie.<br />
J’écartai quelques plantes qui la dissimulaient et je me jetai à<br />
plat ventre pour apaiser l’horrible soif dont j’étais dévorée.<br />
Quand nous eûmes satisfait cet impérieux besoin, nous songeâmes<br />
à retourner. Notre retour était vivement atten<strong>du</strong> et fut<br />
salué de véritables cris de triomphe. Des mains impatientes nous<br />
arrachaient les précieux vases sans même songer à nous remercier.<br />
Une élève s’était avancée sur la plage et se plongeait les<br />
jambes dans l’eau.<br />
Ce fut une illumination soudaine!<br />
Toutes se débarrassèrent instantanément de leurs premiers<br />
vêtements et, enroulant leurs jupons autour de leur taille, se<br />
précipitèrent jusqu’à mi-corps dans cette onde bienfaisante.<br />
Nos maîtresses en firent autant de leur côté.<br />
La mer montait rapidement. Les vagues indiscrètes arrivaient<br />
souvent à une hauteur qu’on eût voulu sauver de l’immersion!<br />
C’était alors une hilarité folle! Moi seule assistais à cette baignade<br />
en spectateur. Qui m’empêcha d’y prendre part? Je n’aurais pas<br />
pu le dire alors. Un sentiment de pudeur, auquel j’obéissais<br />
presque malgré moi, me contraignait à m’abstenir, comme si<br />
j’eusse craint, en me mêlant à ce divertissement, de blesser les<br />
regards de celles qui m’appelaient leur amie, leur sœur!<br />
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