Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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MES SOUVENIRS<br />
un rempart. La vue était délicieuse, surtout lorsque la tempête,<br />
chose fréquente dans cette partie sauvage <strong>du</strong> littoral, venait bouleverser<br />
l’élément terrible qui nous entourait. Les orages, sur ces<br />
côtes arides, avaient un caractère vraiment effrayant, dont on ne<br />
peut se faire une idée.<br />
J’ai assisté une fois à l’une de ces scènes horribles, dont le souvenir<br />
ne m’a jamais laissée. Je n’ai jamais rien vu de semblable<br />
depuis ce jour.<br />
C’était vers le milieu <strong>du</strong> mois de juillet.<br />
La journée avait été accablante. Pas un souffle ne venait rafraîchir<br />
l’air qui, le soir encore, était brûlant. Comme d’habitude,<br />
nous avions été, après le souper, faire une heure de promenade<br />
sur le rempart. À ce moment il se fit un changement subit<br />
d’atmosphère. De violentes rafales venant de la mer s’élevèrent<br />
tout à coup en même temps que des nuages sombres se montraient<br />
à l’horizon.<br />
Évidemment une bourrasque allait éclater.<br />
J’avais hâte de rentrer, car depuis mon arrivée à D… l’orage<br />
me causait une frayeur que je n’avais pas encore ressentie. Thécla<br />
s’appuyait à mon bras qui tremblait déjà malgré mes efforts pour<br />
le dissimuler.<br />
On se disposait à nous faire rentrer quand un éclair horrible<br />
vint me clouer à ma place. Le ciel s’était entrouvert, laissant<br />
tomber la foudre qui s’abattait à quelques mètres de la place où<br />
nous nous trouvions, mais sans laisser aucune trace de son<br />
passage.<br />
J’étais terrifiée. L’ouragan n’était cependant pas encore dans<br />
toute sa force.<br />
Vers minuit il redoubla d’intensité. Les éclairs se succédaient<br />
avec une rapidité toujours croissante, et rendaient parfaitement<br />
inutile la veilleuse qui brûlait au dortoir.<br />
Personne ne dormait. Les deux religieuses avaient ouvert leurs<br />
rideaux et faisaient à haute voix des prières auxquelles répondaient<br />
quelques-unes de mes compagnes.<br />
Rien n’était plus triste que le son monotone de ces voix mêlé<br />
aux éclats grossissants <strong>du</strong> tonnerre.<br />
La tête enfouie sous mes couvertures, je ne respirais plus qu’à<br />
peine. N’y pouvant plus tenir, je me dégageai un peu pour<br />
regarder autour de moi.<br />
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