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Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

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MES SOUVENIRS<br />

J’étais admise à l’école normale de … Quelques lieues à peine<br />

m’en séparaient. Ce voyage néanmoins était un événement pour<br />

moi. Il fallait traverser l’Océan; donc j’allais y trouver les<br />

charmes de la nouveauté.<br />

Arrivé à D…, le capitaine me fit con<strong>du</strong>ire au couvent. Son<br />

aspect était simple et modeste comme la vie de celles qui l’habitaient.<br />

Je ne sais quel trouble inexprimable vint me saisir lorsque je<br />

franchis le seuil de cette maison. C’était de la douleur, de la<br />

honte. Ce que j’éprouvai, nulle parole humaine ne pourrait<br />

l’exprimer.<br />

Cela paraîtra incroyable, sans doute, car enfin je n’étais plus<br />

une enfant, j’avais dix-sept ans, et j’allais me trouver en face de<br />

jeunes filles, dont quelques-unes en avaient à peine seize.<br />

L’accueil si affectueux de la bonne supérieure m’avait laissée<br />

insensible, et, chose étrange, lorsque, con<strong>du</strong>ite par elle, j’arrivai à<br />

la classe des élèves-maîtresses, la vue de tous ces frais et charmants<br />

visages qui me souriaient déjà me serra le cœur.<br />

Sur tous ces jeunes fronts je lisais la joie, le contentement, et je<br />

restais triste, épouvantée! Quelque chose d’instinctif se révélait<br />

en moi, semblant m’interdire l’entrée de ce sanctuaire de virginité.<br />

Un sentiment qui dominait en moi, l’amour de l’étude, vint<br />

faire diversion à la bizarre perplexité qui s’était emparée de tout<br />

mon être.<br />

Les aspirantes au brevet de capacité étaient au nombre de<br />

vingt à vingt-cinq. Néanmoins, à part notre classe, le même<br />

établissement comptait une centaine au moins de petites filles,<br />

tant pensionnaires qu’externes, formant deux classes séparées.<br />

Un immense dortoir, composé de cinquante lits à peu près, nous<br />

réunissait toutes.<br />

Aux deux extrémités de cette pièce on voyait un lit garni de<br />

rideaux blancs, occupé chacun par une religieuse. Habituée<br />

depuis longtemps à avoir une chambre pour moi, je souffris énormément<br />

de cette espèce de communauté. L’heure <strong>du</strong> lever surtout<br />

était un supplice pour moi, j’aurais voulu pouvoir me<br />

dérober à la vue de mes aimables compagnes, non pas que je<br />

cherchasse à les fuir, je les aimais trop pour cela, mais instinctivement<br />

j’étais honteux de l’énorme distance qui me séparait d’elles,<br />

physiquement parlant.<br />

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