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J AVAISécrit, j'avais appelé, j'avais supplié. Pour<br />

finalement obtenir un rendez-vous. Un jour de relâche en octobre<br />

pendant la tournée 94 de Nine Inch Nails, le téléphone de l'hôtel a<br />

sonné.<br />

« Le docteur veut vous rencontrer », m'a dit une femme d'une voix<br />

sévère et enrouée.<br />

Je lui ai demandé si le docteur aimerait venir voir notre show le lendemain.<br />

Je connaissais tout ce qu'il fallait sur le docteur, mais il savait<br />

très peu de chose sur moi. Elle m'a répondu sur un ton glacial :<br />

« Le docteur ne sort jamais de chez lui.<br />

- D'accord. Quand voulez-vous que je vienne ? Je suis en ville quelques<br />

jours.<br />

- Le docteur tient vraiment à vous rencontrer. Pouvez-vous venir cette<br />

nuit entre une et deux heures ? »<br />

Je me foutais complètement de savoir à quelle heure le docteur m'appelait,<br />

où il me convoquait : je m'organisais pour être au rendez-vous. Je<br />

l'admirais, je le respectais. Nous avions beaucoup de choses en commun :<br />

notre expérience d'organisateurs de shows délirants, notre brillante capacité<br />

à jeter des sorts, une certaine connaissance de la criminologie et des<br />

tueurs en série, une parenté d'esprit au travers des écrits de Nietzsche,<br />

ainsi que l'idée de l'élaboration d'une philosophie tournée contre la répression<br />

et en faveur de l'anticonformisme. Bref, nous avions tous deux consacré<br />

la meilleure partie de notre vie à faire basculer le christianisme grâce<br />

au poids de sa propre hypocrisie et, par conséquent, nous nous étions<br />

retrouvés en position de bouc émissaire, justifiant l'existence même du<br />

christianisme.<br />

Avant de raccrocher, mon interlocutrice a ajouté :<br />

« Ah oui, surtout, venez seul. »<br />

Le titre de docteur était le privilège d'Anton Szandor LaVey, fondateur<br />

et grand prêtre de l'Église de Satan. Ce que pratiquement tous ceux<br />

que j'avais croisés dans ma vie — de John Crowell à Mlle Price — avaient<br />

compris de travers : le satanisme ne consiste pas à faire des sacrifices<br />

rituels, à retourner des tombes ou à vénérer le diable. Le diable n'existe<br />

pas. Le satanisme consiste à se vénérer soi-même, parce que c'est à vous<br />

de faire la différence entre le bien et le mal. La guerre du christianisme<br />

contre le diable a toujours été un combat contre les instincts les plus naturels<br />

de l'être humain — le sexe, la violence, la satisfaction de ses propres<br />

désirs — et la négation de l'appartenance de l'homme à l'espèce animale.<br />

L'idée du paradis est tout simplement la seule manière pour les chrétiens<br />

de créer l'enfer sur terre.<br />

Je ne suis pas et je n'ai jamais été un porte-parole du satanisme. C'est<br />

seulement une des choses en lesquelles je crois, tout comme je crois en<br />

Dr Seuss, Dr Hook, Nietzsche et la Bible. J'en ai juste une vision personnelle.<br />

Cette nuit-là, à San Francisco, je n'ai dit à personne où j'allais.<br />

J'ai pris un taxi pour aller chez LaVey, qui habitait dans une des grandes<br />

artères de la ville. Il vivait dans un immeuble noir anonyme, protégé par<br />

une haute et cruelle grille en fil de fer barbelé. Après avoir payé le chauffeur<br />

de taxi, je me suis dirigé vers le portail qui n'avait pas de sonnette.<br />

J'allais repartir lorsque la grille s'est ouverte en grinçant. J'étais aussi nerveux<br />

qu'excité car, contrairement à la plupart des occasions où on rencontre<br />

quelqu'un qu'on idolâtre, je savais déjà que je ne serais pas déçu.<br />

Je suis timidement entré dans la maison et, jusqu'à mi-escalier, je n'ai<br />

vu personne. Un gros type en costume, avec une touffe noire de cheveux<br />

graisseux dissimulant un début de calvitie en haut du crâne, se tenait en<br />

haut des marches ; sans dire un mot, il m'a fait signe de le suivre. Par la<br />

suite, à chaque fois que je suis allé voir LaVey, le gros homme ne s'est<br />

jamais présenté et ne m'a jamais adressé la parole.<br />

Il m'a entraîné dans un couloir où il a fermé violemment une lourde<br />

porte, nous plongeant dans le noir. Je ne pouvais plus voir le gros bonhomme,<br />

encore moins le suivre. J'étais pris de panique, quand tout à coup<br />

il m'a attrapé par le bras pour me guider le restant du chemin. En tournant<br />

dans le couloir, ma hanche a heurté la poignée d'une porte, l'abaissant<br />

légèrement. En colère, le gros bonhomme m'a violemment tiré en<br />

arrière. Ce qui se trouvait derrière cette porte était interdit aux visiteurs.<br />

Finalement, il a ouvert une porte, me laissant seul dans un cabinet de<br />

travail faiblement éclairé. À côté de la porte, il y avait un portrait somptueusement<br />

détaillé de LaVey posé à côté du lion qui lui servait d'animal<br />

de compagnie. Le mur en face était couvert de livres — un mélange de<br />

biographies d'Hitler et de Staline, des romans d'épouvante de Bram Stoker<br />

et Mary Shelley, des livres philosophiques de Nietzsche et d'Hegel,<br />

ainsi que des manuels sur l'hypnose et le contrôle de l'esprit. L'espace<br />

était largement occupé par un canapé rococo, au-dessus duquel étaient<br />

accrochées de nombreuses peintures macabres qui semblaient tout droit<br />

sorties du Night Gallery de Rod Sterling. Dans la pièce, les objets les plus<br />

étranges étaient un immense parc pour bébé posé dans un coin et une télé<br />

qui semblait totalement déplacée dans cet endroit. Objet de consommation<br />

dans un monde fait de contemplation et de mépris.<br />

Pour certaines personnes, ce décor semblerait ringard, pour d'autres,<br />

terrifiant. Pour moi, c'était très excitant. Quelques années auparavant,<br />

j'avais lu la biographie de LaVey par Blanche Barton : l'intelligence de ce<br />

type m'avait impressionné. (Avec le recul, je crois que ce livre n'était pas<br />

objectif, car l'auteur était la mère d'un de ses enfants.) Le pouvoir que

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