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Nous laissions nos clichés dans les restaurants ou dans les bus, là où les<br />

gens pouvaient tomber dessus et agir selon leur conscience.<br />

Nous avions quand même un problème : nous ne pouvions pas voir<br />

le résultat de nos travaux. Nous avons donc imaginé de nouvelles farces<br />

lorsque nous avons remarqué que des gens installaient des crèches sur<br />

leur pelouse à l'époque de Noël. Malgré mon animosité envers tout cérémonial<br />

religieux, j'ai toujours aimé Noël, sans doute parce que mes parents<br />

m'ont élevé dans une tradition laïque (le seul geste religieux qu'ils aient<br />

accompli, c'est de m'inscrire dans une école religieuse), si bien que je n'ai<br />

jamais fait l'association entre Noël et la naissance du Christ. Ça voulait<br />

dire accrocher des merdes dans un arbre, recevoir des cadeaux et regarder<br />

les rues entrer dans un chaos de lumières et de décorations.<br />

Quelques jours avant Noël, je suis allé avec Missi à l'épicerie Albertson<br />

qui, entre une heure et trois heures du matin, est surtout fréquentée<br />

par des adolescents qui viennent chercher du matériel pour réussir leurs<br />

sales coups. J'avais les moyens de me payer tout ce que je voulais, mais<br />

je préférais voler, uniquement pour montrer que j'étais plus fort que les<br />

trous du cul qui travaillaient dans ce magasin. Par ailleurs, j'ai toujours<br />

pensé que le vol à l'étalage devrait être puni par la peine de mort, car<br />

c'est tellement facile, et si on est suffisamment stupide pour se faire prendre,<br />

on ne mérite que d'être exécuté.<br />

Cette nuit-là, nous avons volé des cisailles et des spots. Nous avons<br />

fait le tour du quartier dans le pick-up de Missi, en s'arrêtant devant<br />

toutes les pelouses où il y avait une crèche pour y voler deux choses : le<br />

petit Jésus et le roi mage africain. Notre but était de saboter un maximum<br />

de crèches dans un seul quartier pour qu'on croie à une conspiration.<br />

Ensuite, on avait prévu d'envoyer dans chaque maison un message<br />

de rançon censé provenir d'un groupe bidon de militants noirs. Son<br />

contenu était : « L'Amérique a truqué et figé la sagesse de l'homme noir<br />

par une propagande raciste à l'occasion de ce qu'elle appelle son "Noël<br />

Blanc". » Le seul problème, c'est que personne n'a prêté attention et qu'il<br />

n'y a même pas eu une ligne dans les journaux.<br />

Le Noël suivant, on a décidé de faire un truc encore plus blasphématoire<br />

et, pour ça, on a acheté chez Alberston un lot d'énormes jambons<br />

salés. Malheureusement, ils étaient trop gros pour qu'on puisse les voler,<br />

mais j'étais toujours prêt à payer pour faire évoluer mon art. On les a<br />

déballés, puis on est retournés devant les mêmes maisons, pour remplacer<br />

les petits Jésus par la viande en train de pourrir. Spectacle magnifique,<br />

surtout lorsque, avec les jambons qui nous restaient, on a saboté les scènes<br />

de nativité dans les églises du coin et, dans un coup de grâce symbolique,<br />

on a laissé de la viande de porc dans la crèche du poste de police local.<br />

Peu d'entreprises du sud de la Floride ont échappé à nos frasques, sur-<br />

tout celles fréquentées par des enfants, comme Toys « R » Us et Disney<br />

World. Un jour, j'ai débarqué à Disney World en compagnie de Missi et<br />

Jeordie après avoir acheté de nouveaux jouets dans un magasin de farces<br />

et attrapes, un flingue qui lançait des flammes au niveau des paumes, une<br />

lame de rasoir attachée à un tube rempli de sang, de quoi faire de fausses<br />

blessures. Étant tous trois sous acide, nous étions certains que tous les<br />

gens présents dans le parc faisaient partie des services secrets. Ils semblaient<br />

tous parler dans leur barbe, comme s'ils transmettaient nos<br />

moindres faits et gestes à leur quartier général, alors qu'en fait ils essayaient<br />

d'éloigner leurs enfants. Nous étions persuadés qu'ils savaient tous que<br />

nous avions pris du LSD. Cela s'est confirmé (du moins dans nos têtes)<br />

lorsque, en plein milieu du circuit dans la maison hantée, les voitures ont<br />

calé et une voix a annoncé : « Faites bien attention qu'il n'y ait pas d'espions<br />

dans vos buggies », ce qui nous a semblé être une allusion directe<br />

à Dune Buggy, l'un des titres de Marilyn Manson and the Spooky Kids.<br />

Lorsque le buggie est reparti dans un sursaut, ils ont clamé (ou nous avons<br />

cru entendre) : « Profitez bien de la fin de votre trip. » Juste après, on<br />

s'est arrêtés dans un zoo rempli d'animaux familiers et, tandis que Jeordie<br />

essayait d'engager la conversation avec des poulets, je suis resté, pendant<br />

au moins une heure, captivé devant l'énorme chatte palpitante d'une<br />

truie, rosé et recouverte de boue, qui n'était pas sans ressemblance avec<br />

celle que j'ai chevauchée quelques années plus tard dans la vidéo de Sweet<br />

Dreams.<br />

Dans un de ces mondes imaginaires de plastique, des dizaines de familles<br />

étaient assises autour de tables de pique-nique, heureux et satisfaits d'y<br />

rogner leurs cuisses de dinde géantes. La scène ressemblait à un rite barbare<br />

célébrant le carnassier, situation d'autant plus ironique que des<br />

pigeons et des mouettes planaient au-dessus de leurs têtes, inconscients<br />

du carnage perpétré juste en dessous sur leurs frères de sang. Je ne suis<br />

pas végétarien, mais ce spectacle joyeusement violent m'a semblé déplacé<br />

et écœurant. Du coup, je me suis dirigé vers un couple de jumeaux, habillés<br />

pareils, qui semblaient tout droit sortis de Children ofthe Damned. Tandis<br />

qu'ils étaient assis là, dévorant leur cuisse de dinde, je me suis posté<br />

en face d'eux, j'ai retiré mes lunettes de soleil pour leur montrer mes yeux<br />

vairons, je leur ai décoché un sourire aussi funeste qu'il m'était possible<br />

dans mon état et j'ai sorti mon rasoir pour me taillader le bras. J'ai laissé<br />

le sang couler de mon poignet et goutter sur les tickets usagés et le popcorn<br />

qui traînaient par terre. Ils ont laissé tomber leur viande, avant de<br />

se sauver en courant et en hurlant, pendant que je poursuivais mon chemin,<br />

grisé par mon exploit, car il n'y a pas de meilleure sensation dans<br />

la vie que de savoir que vous avez modifié la vie de quelqu'un, même si<br />

le résultat est une fortune dépensée en thérapie.

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