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Lorsque je suis redescendu de mon trip d'acide, le lendemain du concert<br />
de Nine Inch Nails, j'ai également échappé à l'envoûtement de Nancy.<br />
J'avais l'impression que, depuis le 4 juillet, je n'avais vécu qu'un long<br />
trip. Je m'endormais en colère et troublé, essayant de comprendre ce qui,<br />
les mois précédents, n'allait pas chez moi. Elle m'a appelé en fin d'aprèsmidi.<br />
Je venais juste de me réveiller avec dans la tête le refrain de la pire<br />
des chansons que j'ai pu écrire : « Ce n'est pas ma petite amie/Je ne suis<br />
pas celui que tu crois. » Elle a attaqué avec son discours de merde habituel<br />
comme quoi elle allait mettre Cari dehors pour m'installer chez elle.<br />
Mais cette fois-ci, ça n'a pas pris.<br />
« Non, jamais ! j'ai explosé. Ce ne sont que des conneries. Premièrement,<br />
ce truc avec le groupe, c'est ter-mi-né. Je te vire.<br />
- Mais c'est aussi mon groupe, a-t-elle insisté.<br />
- Non, c'est MON groupe. Ça n'a jamais été ton groupe. T'as même<br />
jamais fait partie du groupe. Tu es un extra, un accessoire, et j'apprécie<br />
ce que tu as fait pour nous sur scène, mais c'est le moment de te barrer.<br />
- Mais... et nous ? Enfin qu'est-ce qu'on va...<br />
- Non. C'est fini aussi. Quoi qu'il se soit passé, c'était une erreur.<br />
C'est terminé maintenant. Teresa est et restera ma petite amie. Je suis<br />
désolé si je me comporte comme un salopard, mais tout est terminé. »<br />
Alors, elle est devenue dingue, encore pire que lorsqu'elle était sous<br />
acide la nuit précédente. Elle a hurlé et pleuré jusqu'à s'enrouer, me traitant<br />
de tous les noms qui lui passaient par la tête. La conversation s'est<br />
achevée alors que j'essayais de la convaincre de ne rien dire de notre histoire<br />
ni à Cari ni à Teresa. Elle a accepté. Mais, quelques heures plus tard,<br />
Teresa m'appelait.<br />
« Écoute ça », m'a-t-elle dit en posant le combiné près du répondeur.<br />
Il y avait un message de Nancy qui hurlait si frénétiquement qu'il était<br />
difficile de tout saisir.<br />
« Salope... quel bordel t'as... je te l'avais dit... jamais... je vais te<br />
tuer... si je te vois... te brise... j'étends ta sale... bordel... du sang partout<br />
sur les murs (clic). »<br />
À partir de là, ça a été le cirque. Nancy appelait les clubs pour<br />
annuler les concerts de Marilyn Manson and the Spooky Kids ; elle venait<br />
à nos shows, menaçait les spectateurs, et allait jusqu'à monter sur scène<br />
pour agresser Missi, la fille qui l'avait remplacée. Elle appelait tous ceux<br />
que je connaissais pour leur dire que j'étais un salopard et elle s'est mise<br />
à me laisser des messages et des paquets obscènes. Un matin, j'ai trouvé<br />
devant ma porte un collier qu'elle m'avait emprunté. Il avait été brisé en<br />
mille morceaux et recouvert d'un truc qui ressemblait à du sang, le tout<br />
rituellement assemblé dans un bocal scellé à l'aide de cheveux. Le frère<br />
de John Crowell aurait pu lancer ce genre de malédiction.<br />
Jamais personne ne m'avait mis dans une telle colère. Elle démolissait<br />
ma vie lorsque nous couchions ensemble, et maintenant que nous avions<br />
arrêté, elle la détruisait de fond en comble. Toutes les nuits lorsque je rentrais<br />
chez moi, de nouvelles menaces de mort m'attendaient. J'avais déjà<br />
éprouvé tout un tas de sentiments différents envers Nancy : la répugnance,<br />
la peur, le désir, l'ennui, l'exaspération et la certitude que toutes les filles<br />
qui m'aimaient devaient être folles. Mais ils étaient à présent supplantés<br />
par une haine sombre, profonde et lancinante, une haine au vitriol qui<br />
bouillonnait dans mes veines à chaque fois que son nom était prononcé.<br />
J'ai fini par l'appeler et je n'y suis pas allé par quatre chemins.<br />
« Non seulement tu feras plus jamais partie du groupe, mais si tu<br />
quittes pas la ville, je te fais descendre. »<br />
Je n'exagérais pas : j'étais fou furieux, je n'avais rien à perdre et j'étais<br />
tellement emberlificoté dans cette situation que je ne voyais pas d'issue.<br />
Ce n'était pas seulement Nancy et sa ressemblance avec John Crowell ;<br />
cela venait aussi de moi, je perdais ma personnalité en haïssant les gens<br />
qui, pensais-je, essayaient de la détruire.<br />
Cela faisait un moment que je n'avais plus trop de respect pour la vie.<br />
Je l'avais compris quelques semaines auparavant en sortant du Reunion<br />
Club, lorsque, en traversant la rue, j'avais été témoin d'un accident de la<br />
circulation. Un homme entre deux âges était sorti en trébuchant d'une<br />
voiture — une Chevrolet Celebrity bleue — en se tenant la tête et en hurlant<br />
au secours. Il titubait dans la rue, désorienté, en état de choc, puis il<br />
a lâché son front. La peau recouvrant son crâne lui est tombée sur le<br />
visage et il s'est écroulé dans la flaque formée par son propre sang, pris<br />
de tremblements et de convulsions jusqu'à ce que la mort le fauche et<br />
l'apaise. En arrivant de l'autre côté de la rue, là où l'autre véhicule s'était<br />
écrasé, j'ai vu une femme, étendue sur le sol, le crâne fendu en deux. Elle<br />
souffrait, c'était clair, mais semblait calme et consciente, comme si elle<br />
avait compris qu'elle allait quitter ce monde. Au moment où je suis passé<br />
à côté d'elle, elle a lentement tourné la tête vers moi en me suppliant de<br />
la soutenir. « Je vous en prie... quelqu'un... » Elle implorait tout en tremblant.<br />
« Où suis-je ? Ne dites rien à ma sœur... s'il vous plaît. Aidez-moi. »<br />
Je voyais l'humanité et le désespoir dans ses yeux noisette. En fait, elle<br />
avait juste besoin d'un simple contact physique, nourricier, avant de mourir.<br />
Mais j'ai poursuivi mon chemin. Cela ne me concernait pas, et je ne<br />
voulais surtout pas être concerné. J'avais l'impression d'être déconnecté,<br />
comme au cinéma. Je savais que je me comportais comme un salopard,<br />
mais je me demandais si elle — ou n'importe qui d'autre — se serait arrêtée<br />
si j'avais été à sa place. Auraient-ils eu peur pour eux-mêmes ? Peur<br />
de tacher leurs vêtements avec mon sang, peur d'arriver en retard à un<br />
rendez-vous, peur d'attraper le sida, une hépatite ou un truc pire encore.