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Je tiens les doigts de Traci dans une main, une bouteille de Jack Daniel's<br />

dans l'autre. Nous sommes debout sur un balcon dominant une soirée<br />

qui semble être en mon honneur. « Je ne savais pas que tu étais aussi<br />

célèbre que ça », ronronne-t-elle, s'excusant pour un événement du passé<br />

dont j'ignore tout. « Je pensais que tu étais quelque chose de différent. »<br />

Il y a des lumières, des flashs. Bowie chante « We could be heroes just<br />

for a day. » (Nous pourrions être des héros, juste une journée.) Tout le<br />

monde nous sourit doucereusement. Elle semble être aussi célèbre que je<br />

semble l'être.<br />

« J'ai passé mon adolescence à me masturber en pensant à cette salope,<br />

caquette un roadie — un des miens ?<br />

- Qui ? je lui demande.<br />

-Ça.<br />

- Quoi ça ?<br />

- Traci Lords, mon sacré salopard. »<br />

À côté de nous, il y a un grand type affalé sur le sol : il a de longs cheveux<br />

noirs, son visage est peint en blanc. Il porte des platform-boots, des<br />

bas résille déchirés, un short en cuir noir ainsi qu'un T-shirt noir en lambeaux.<br />

Il me ressemble, ou bien il ressemble à ma caricature. Je me<br />

demande si c'est moi.<br />

Une grosse fille, avec des tiges et des anneaux en métal enfoncés dans<br />

la moitié de son visage et du rouge à lèvres maculant l'autre moitié,<br />

remarque que j'observe le grand type. Elle monte, pousse un garde du<br />

corps trapu — le mien ? — et, tandis que son visage ressemble à un stroboscope<br />

grotesque dans la lumière, elle explique :<br />

« Tu veux savoir qui est ce type ? Personne ne connaît vraiment son<br />

nom. Il est sans domicile fixe. Il gagne sa vie en faisant le tapin, puis il<br />

dépense l'argent qu'il a gagné à essayer de te ressembler. Il vient toujours<br />

ici, il danse sur tes disques. »<br />

J'écoute à nouveau la musique. Le DJ a mis Sweet Dreams des Eurythmies.<br />

Mais c'est plus lent, plus sombre, plus vicieux. La voix qui chante<br />

est la mienne. J'ai besoin de m'éloigner de cette scène surréaliste, de tous<br />

ces gens qui me traitent comme si j'étais une sorte de star dont ils pourraient<br />

sucer un peu d'intelligence. Traci me prend la main et m'entraîne,<br />

se déplaçant comme des billes de mercure dans les décombres d'un<br />

immeuble. Nous passons derrière un rideau blanc et vaporeux, jusqu'à<br />

une pièce vide réservée aux VIP, remplie de sandwiches que personne n'a<br />

touchés, et nous nous asseyons. Je tiens quelque chose dans les mains...<br />

un bout de papier. J'essaie de me concentrer sur l'écriture épaisse et<br />

baveuse. « Mon cher et adorable Brian (ça commence comme ça). Je veux<br />

virer mon petit ami, et je veux que tu viennes habiter avec moi. La semaine<br />

dernière, tu m'as dit que tu n'étais pas très satisfait de la manière dont<br />

les choses évoluaient avec Teresa (merde, c'est Nancy). Je te rendrai tellement<br />

heureux. Je sais que je le peux. Personne ne s'occupera de toi<br />

comme je le ferai. Personne ne te baisera comme je le ferai. J'ai tant à te<br />

donner. »<br />

Je l'ai reposé. Je ne peux pas m'en occuper pour l'instant, pas tant que<br />

je suis en plein trip. Mais est-ce que je redescendrai un jour ? Nancy est<br />

debout devant la porte de la salle de bains, elle me regarde, sa taille nue<br />

est légèrement distendue sous son T-shirt moulant bleu marine. Son pouce<br />

est enfoncé dans la ceinture de son jean, elle se mord la lèvre inférieure.<br />

Elle n'est pas sexy. Elle est bizarre et difforme, comme une photographie<br />

de Joel-Peter Witkin. Je me lève, je me dirige vers elle. Teresa et Cari sont<br />

assis sur mon lit, ils regardent le film : ils ont totalement oublié notre présence<br />

ainsi que le babillage bizarre de Stephen.<br />

La brise fraîche souffle naturellement, en toute logique, par la fenêtre<br />

ouverte de ma salle de bains qui est noire comme du charbon, bien que<br />

les lumières dans ma tête fonctionnent comme un stroboscope. Je cherche<br />

en tâtonnant le bord en porcelaine de la baignoire, je m'y assois en essayant<br />

d'empêcher ma tête de tournoyer et de me rappeler ce que je voulais dire<br />

à Nancy. J'entends de la musique, à présent beaucoup trop forte, beaucoup<br />

trop puissante pour ma salle de bains. Je sens que je tourne de l'œil,<br />

j'essaie de résister.<br />

La musique est encore plus forte dans ma tête. « Ce n'est pas ma jolie<br />

maison ! Ce n'est pas ma jolie femme ! »<br />

À présent, la musique n'est plus seulement dans ma tête. Ce sont les<br />

Talking Heads, Once in a Lifetime. Elle m'enveloppe, elle vibre dans mon<br />

dos. Je m'allonge sur le sol, j'essaie de garder les yeux ouverts pour<br />

reprendre conscience.<br />

« Et tu te demandes : "Comment j'en suis arrivé là ?" »<br />

Elle — Traci — est penchée sur moi, elle retire ma chemise, découvrant<br />

des lacérations en forme de papillon que je ne me connaissais pas.<br />

Son autre main s'active sur les boutons de mon pantalon. Sa bouche est<br />

chaude, sirupeuse : je sens le goût de la cigarette et du Jack Daniel's. Elle<br />

commence à faire des choses avec cette bouche, ces petites mains et ces<br />

ongles rouge grenade que des millions d'hommes regardent depuis des<br />

années sur des vidéos d'occase — des films qui ne m'avaient jamais intéressé,<br />

malgré la fascination que j'ai pour sa vie. Elle baisse mon pantalon<br />

et, en gardant les bras bien croisés, elle enlève son haut. Elle remonte<br />

sa jupe, non pas pour l'enlever, mais pour me montrer qu'elle ne porte<br />

rien en dessous. Je suis cloué sur place. Elle ne semble pas malsaine,<br />

comme si elle jouait dans un film porno, même lorsqu'elle me taille une<br />

pipe. Elle est délicate, protectrice, angélique comme une plume suspendue<br />

en plein ciel au-dessus d'un enfer d'abjection et de viandographie. Je

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