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essaie de me calmer en me disant que l'autre voiture est juste peinte en<br />

rouge, que le rouge ressemble à du sang à cause des gouttes de pluie. Mais<br />

je suis complètement paranoïaque : des crapauds morts, des flics, une<br />

voiture ensanglantée. Je fais la liaison. Ils m'en veulent tous. Je peux m'entendre<br />

crier, sans savoir ce que je dis. J'essaie de sortir de la voiture. Je<br />

cogne sur le pare-brise, passant le poing au travers du verre prétendu<br />

incassable. Les bris de glace m'enveloppent la main comme une toile<br />

d'araignée, mes jointures saignent et ressemblent à une rangée de conduites<br />

d'égout ouvertes et vomissant des déchets.<br />

Puis nous nous asseyons, Teresa me murmure des trucs à l'oreille en<br />

me disant qu'elle sait ce que je ressens. Je la crois, je pense qu'elle aussi<br />

croit en ce qu'elle dit. Nous entrons dans la phase hallucinogène du trip<br />

pendant laquelle nous n'avons plus besoin de parler pour savoir ce que<br />

l'autre pense. Je commence à me calmer.<br />

Nous retournons à la soirée. Bien qu'ils soient moins nombreux, des<br />

gens sont encore là, rien ne prouve que les flics sont venus. Au moment<br />

où je suis en train de passer d'un mauvais trip à un trip supportable, quelqu'un<br />

— qui ne se rend pas compte que je me tue à redescendre — essaie<br />

de me pousser dans la piscine. Juste pour rire. Pas la peine d'être agrégé<br />

de maths pour se rendre compte qu'acide plus piscine égale mort certaine.<br />

Du coup, je panique, je commence à battre l'air avec mes bras.<br />

Nous engageons bientôt un combat de boxe, je vais le mettre en morceaux<br />

comme s'il était une poupée que j'essaie de mutiler. Je lui envoie<br />

mon poing en pleine gueule, avec mes phalanges à vif et à nu, qui ne me<br />

font même pas mal.<br />

Il trébuche, hors de ma portée, je remarque que tout le monde me<br />

regarde, abasourdi. « Allez, on va tous chez moi. » Je m'adresse aux gens<br />

qui m'entourent. On s'entasse dans la voiture — moi, ma petite amie,<br />

Nancy et son petit ami — soit les quatre ingrédients nécessaires à la recette<br />

de la détresse personnelle. De retour en ville, dans la maison de mes<br />

parents, nous allons directement dans ma chambre où nous retrouvons,<br />

allongé sur mon lit, telle une mèche qui attend une allumette, Stephen,<br />

mon clavier sans clavier. Il essaie de nous intéresser à la vidéo qu'il regarde :<br />

Abattoir 5. Le genre de film étrange, décousu et prise de tête qu'on n'a<br />

pas envie de regarder lorsqu'on est sous acide.<br />

Cari est immédiatement absorbé par le film, la télévision rayonne sur<br />

sa bouche qui bave d'admiration. Sans dire un mot, Nancy se lève à la<br />

hâte — d'une manière agaçante — et se dirige vers la salle de bains. Je<br />

suis assis sur le lit avec ma petite amie, mon cerveau clignote, de la même<br />

manière que le film danse sur Cari. Stephen bredouille un truc à propos<br />

des effets spéciaux. J'entends des grattements spasmodiques provenant<br />

de la salle de bains, comme des griffes de dizaines de rats frôlant la<br />

baignoire. Dans un bref instant de lucidité, je réalise qu'il s'agit du bruit<br />

d'un crayon rageur sur une feuille de papier. Le son devient de plus en<br />

plus fort, submergeant celui de la télé, Stephen et tout le reste dans la<br />

pièce. Je sais que Nancy est en train d'écrire un truc qui va me rendre<br />

malheureux et ruiner ma vie. Plus le son enfle, plus j'imagine que ce qu'elle<br />

écrit est dément, tordu.<br />

Nancy ressort de la salle de bains, resplendissante d'une gloire vindicative<br />

: elle me tend le papier. Personne d'autre ne semble remarquer.<br />

C'est entre nous. Pour rassembler mes forces, je regarde le poste de télé.<br />

Je le regarde si intensément que j'en oublie le film. De toute façon, ça ne<br />

ressemble pas du tout à une télévision. Ça ressemble à une lumière stroboscopique.<br />

Je me retourne pour regarder Nancy. Mais je ne la vois pas.<br />

Je vois une belle femme qui fait la moue, elle a de longs cheveux blonds.<br />

Elle vient de se faire un brushing, elle porte un T-shirt Alien Sex Fiend<br />

qui cache ses courbes. Ce doit être Traci, la fille du téléphone...<br />

Le bruit du crayon est remplacé par la voix de David Bowie : « I. I<br />

will be king. And you. You will be queen. » (Moi, je serai roi. Et toi. Tu<br />

seras reine.)

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