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été refusée par dix-sept magazines. Et aujourd'hui elle serait dans la maison<br />

de mes parents en Floride en train de jaunir et de moisir dans le garage<br />

au milieu des autres textes.<br />

Mais l'idée était trop bonne pour la laisser pourrir. C'était en 1989 et<br />

les 2 Live Crew de Miami commençaient à faire les gros titres des journaux<br />

parce que, dans tout le pays, les propriétaires de magasins étaient<br />

arrêtés pour avoir vendu leur disque — catalogué comme obscène — à<br />

des mineurs. Des pontes et des célébrités se bousculaient pour soutenir<br />

le groupe, en démontrant que leurs textes n'étaient pas de la provocation,<br />

mais de l'art. Des comptines un peu cochonnes avec des paroles<br />

telles que « La p'tite Miss Cramouillette était assise sur une touffe d'herbette,<br />

les jambes écartées/Une araignée arriva, le nez elle y fourra et dit :<br />

"Sacrée Cramouillette" » avaient suscité un événement culturel.<br />

À cette époque je lisais des ouvrages sur la philosophie, l'hypnose, la<br />

psychologie des criminels et des masses (en plus de quelques livres sur<br />

l'occultisme et le crime). Sans compter que j'en avais vraiment marre de<br />

regarder à la télé les débats et les rediffusions sans fin des Années coup<br />

de cœur : je réalisais que les Américains étaient vraiment des crétins. Bref,<br />

toutes ces influences mélangées m'ont donné l'idée de créer mon propre<br />

projet scientifique et de prouver qu'un groupe blanc qui ne ferait pas de<br />

rap pourrait se révéler plus choquant et plus immoral que 2 Live Crew<br />

et ses comptines salaces. En tant qu'artiste, je voulais être le signal d'alarme<br />

le plus bruyant et le plus tenace qui existe, parce que je ne voyais pas<br />

d'autre issue : il fallait briser les liens de notre société avec le christianisme<br />

et la faire sortir du coma dans lequel nous plongent les médias.<br />

Comme je n'arrivais pas à faire publier mes poèmes, j'ai réussi à<br />

convaincre Jack Kearnie, propriétaire du Squeeze, un petit club dans une<br />

rue piétonne, d'organiser des soirées à micro ouvert. Pour moi, c'était<br />

une façon de faire connaître mes textes. Je me suis donc retrouvé tous les<br />

lundis, mal à l'aise et désarmé, planté derrière le micro sur cette minuscule<br />

scène à réciter une poignée de textes en tout genre devant une assistance<br />

clairsemée. Les gens bizarres qui étaient présents me disaient que<br />

je ne racontais que des conneries, mais que j'avais une bonne voix. Ils me<br />

conseillaient tous de monter un groupe. Mais au fond de moi-même, je<br />

savais que personne n'aime la poésie et que leur conseil était juste — en<br />

plus, tous ceux que j'avais écoutés ou interviewés écrivaient des chansons<br />

qui ne voulaient rien dire. J'avais toujours rêvé de faire de la musique<br />

parce que c'était une part très importante de ma vie, mais jusque-là je<br />

n'avais jamais eu la confiance et la foi suffisante dans mes capacités pour<br />

en faire sérieusement. Tout ce dont j'avais besoin était de quelques âmes<br />

résistantes pour se rendre en enfer en ma compagnie.<br />

Le Kitchen Club était l'épicentre de la scène underground de Miami.<br />

C'est un lieu que j'ai fréquenté régulièrement dès l'année où il a ouvert<br />

ses portes : ce club était niché dans un hôtel miteux peuplé de prostituées,<br />

de junkies et de clochards. Derrière, il y avait une piscine dont l'eau était<br />

répugnante à force de servir de baignoire et de laverie aux alcooliques<br />

qui s'étaient pissé et chié dessus. J'arrivais à l'hôtel le vendredi soir, j'y<br />

louais une chambre et, à la fin du week-end, je m'y retrouvais seul et malheureux,<br />

en train de vomir dans la baignoire après avoir avalé trop d'amphétamines<br />

et trop de vodka orange.<br />

Un vendredi, j'ai débarqué au club en compagnie de Brian Tutunick,<br />

un copain de mon cours de théâtre. J'étais vêtu d'un trench-coat bleu<br />

marine avec, peint dans le dos, « Jésus Notre Sauveur », des bas rayés et<br />

des rangers. À cette époque, j'avais l'impression d'être cool, mais maintenant<br />

je me dis que je devais ressembler à un trou du cul. (« Jésus Notre<br />

Sauveur » ?) En entrant, nous avons remarqué un type blond adossé à un<br />

pilier; ses cheveux style Pulp Fiction pendaient sur son visage. Il fumait<br />

une cigarette et riait. Je croyais qu'il se foutait de moi, mais lorsque je<br />

suis passé devant lui il n'a même pas tourné la tête. Il regardait juste dans<br />

le vide en gloussant comme un malade.<br />

Tandis que la sono crachait Life is Life de Laibach, version marche<br />

militaire yougoslave, j'ai repéré une fille aux cheveux noirs avec des seins<br />

énormes (chez les filles au look gothique, on appelle ça les biscuits de<br />

Dracula). En hurlant par-dessus la musique, je lui ai expliqué que j'avais<br />

une chambre à l'hôtel au-dessus et j'ai essayé de la convaincre d'y monter<br />

avec moi. Mais, pour la quatre-vingt-dix-neuvième fois cet été-là, je<br />

me suis pris un râteau parce qu'elle était venue au club avec un garçon<br />

qui s'est révélé être le type qui se marrait. Je l'ai suivie jusqu'à son pilier<br />

et je lui ai demandé pourquoi il se marrait. Il m'a expliqué, comme s'il<br />

faisait un cours de travaux pratiques, comment se suicider proprement ;<br />

en me donnant des quantités de détails essentiels, comme l'angle exact<br />

sous lequel il faut tenir le fusil, quel type de munitions utiliser... Il ne cessait<br />

de rire bizarrement à chacune de ses paroles et, tout en gloussant, il<br />

répétait ce qu'il venait de dire — calibre douze ou cortex cérébral, etc.<br />

— de façon qu'on sache bien ce qu'il y avait de si drôle.<br />

Il s'appelait Stephen, et il m'a expliqué au cours suivant que ça le faisait<br />

chier qu'on l'appelle Steve. Et que ça le faisait également chier qu'on<br />

épèle son nom avec un v à la place d'un ph. Il a continué à discuter sur<br />

la question des prénoms jusqu'à ce que Stigmata de Ministry passe et que<br />

les gothiques et les pseudo-punks s'arrêtent de danser pour se lancer dans<br />

un violent pogo. Tout ce cirque était le fait d'un mec efféminé, une sorte

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