UNE DE MES PREMIÈRES ILLUSTRATIONS IL LEVA LES BRAS. « JE NE SUIS PAS SARCASTIQUE, J'ESSAIE UN TRAITEMENT DE CHOC AVEC DES MOTS POUR QUE VOUS COMPRENIEZ QUE VOUS RACONTEZ DES CONNERIES ! VOUS ÊTES EN TRAIN DE ME PARLER D'UN PSEUDONYME EN TRAIN DE PRENDRE FORME HUMAINE ! » MARILYN Manson était un parfait héros de roman pour un écrivain frustré comme moi. C'est un personnage qui, à cause du mépris qu'il a pour le monde dans lequel il vit et, encore pire, pour lui-même, utilise toutes les ruses pour que les gens l'aiment. Et une fois qu'il a gagné leur confiance, il s'en sert pour les détruire. Il aurait dû être le héros d'une assez longue nouvelle d'une soixantaine de pages. Le titre en aurait été La Monnaie de sa pièce et elle aurait
été refusée par dix-sept magazines. Et aujourd'hui elle serait dans la maison de mes parents en Floride en train de jaunir et de moisir dans le garage au milieu des autres textes. Mais l'idée était trop bonne pour la laisser pourrir. C'était en 1989 et les 2 Live Crew de Miami commençaient à faire les gros titres des journaux parce que, dans tout le pays, les propriétaires de magasins étaient arrêtés pour avoir vendu leur disque — catalogué comme obscène — à des mineurs. Des pontes et des célébrités se bousculaient pour soutenir le groupe, en démontrant que leurs textes n'étaient pas de la provocation, mais de l'art. Des comptines un peu cochonnes avec des paroles telles que « La p'tite Miss Cramouillette était assise sur une touffe d'herbette, les jambes écartées/Une araignée arriva, le nez elle y fourra et dit : "Sacrée Cramouillette" » avaient suscité un événement culturel. À cette époque je lisais des ouvrages sur la philosophie, l'hypnose, la psychologie des criminels et des masses (en plus de quelques livres sur l'occultisme et le crime). Sans compter que j'en avais vraiment marre de regarder à la télé les débats et les rediffusions sans fin des Années coup de cœur : je réalisais que les Américains étaient vraiment des crétins. Bref, toutes ces influences mélangées m'ont donné l'idée de créer mon propre projet scientifique et de prouver qu'un groupe blanc qui ne ferait pas de rap pourrait se révéler plus choquant et plus immoral que 2 Live Crew et ses comptines salaces. En tant qu'artiste, je voulais être le signal d'alarme le plus bruyant et le plus tenace qui existe, parce que je ne voyais pas d'autre issue : il fallait briser les liens de notre société avec le christianisme et la faire sortir du coma dans lequel nous plongent les médias. Comme je n'arrivais pas à faire publier mes poèmes, j'ai réussi à convaincre Jack Kearnie, propriétaire du Squeeze, un petit club dans une rue piétonne, d'organiser des soirées à micro ouvert. Pour moi, c'était une façon de faire connaître mes textes. Je me suis donc retrouvé tous les lundis, mal à l'aise et désarmé, planté derrière le micro sur cette minuscule scène à réciter une poignée de textes en tout genre devant une assistance clairsemée. Les gens bizarres qui étaient présents me disaient que je ne racontais que des conneries, mais que j'avais une bonne voix. Ils me conseillaient tous de monter un groupe. Mais au fond de moi-même, je savais que personne n'aime la poésie et que leur conseil était juste — en plus, tous ceux que j'avais écoutés ou interviewés écrivaient des chansons qui ne voulaient rien dire. J'avais toujours rêvé de faire de la musique parce que c'était une part très importante de ma vie, mais jusque-là je n'avais jamais eu la confiance et la foi suffisante dans mes capacités pour en faire sérieusement. Tout ce dont j'avais besoin était de quelques âmes résistantes pour se rendre en enfer en ma compagnie. Le Kitchen Club était l'épicentre de la scène underground de Miami. C'est un lieu que j'ai fréquenté régulièrement dès l'année où il a ouvert ses portes : ce club était niché dans un hôtel miteux peuplé de prostituées, de junkies et de clochards. Derrière, il y avait une piscine dont l'eau était répugnante à force de servir de baignoire et de laverie aux alcooliques qui s'étaient pissé et chié dessus. J'arrivais à l'hôtel le vendredi soir, j'y louais une chambre et, à la fin du week-end, je m'y retrouvais seul et malheureux, en train de vomir dans la baignoire après avoir avalé trop d'amphétamines et trop de vodka orange. Un vendredi, j'ai débarqué au club en compagnie de Brian Tutunick, un copain de mon cours de théâtre. J'étais vêtu d'un trench-coat bleu marine avec, peint dans le dos, « Jésus Notre Sauveur », des bas rayés et des rangers. À cette époque, j'avais l'impression d'être cool, mais maintenant je me dis que je devais ressembler à un trou du cul. (« Jésus Notre Sauveur » ?) En entrant, nous avons remarqué un type blond adossé à un pilier; ses cheveux style Pulp Fiction pendaient sur son visage. Il fumait une cigarette et riait. Je croyais qu'il se foutait de moi, mais lorsque je suis passé devant lui il n'a même pas tourné la tête. Il regardait juste dans le vide en gloussant comme un malade. Tandis que la sono crachait Life is Life de Laibach, version marche militaire yougoslave, j'ai repéré une fille aux cheveux noirs avec des seins énormes (chez les filles au look gothique, on appelle ça les biscuits de Dracula). En hurlant par-dessus la musique, je lui ai expliqué que j'avais une chambre à l'hôtel au-dessus et j'ai essayé de la convaincre d'y monter avec moi. Mais, pour la quatre-vingt-dix-neuvième fois cet été-là, je me suis pris un râteau parce qu'elle était venue au club avec un garçon qui s'est révélé être le type qui se marrait. Je l'ai suivie jusqu'à son pilier et je lui ai demandé pourquoi il se marrait. Il m'a expliqué, comme s'il faisait un cours de travaux pratiques, comment se suicider proprement ; en me donnant des quantités de détails essentiels, comme l'angle exact sous lequel il faut tenir le fusil, quel type de munitions utiliser... Il ne cessait de rire bizarrement à chacune de ses paroles et, tout en gloussant, il répétait ce qu'il venait de dire — calibre douze ou cortex cérébral, etc. — de façon qu'on sache bien ce qu'il y avait de si drôle. Il s'appelait Stephen, et il m'a expliqué au cours suivant que ça le faisait chier qu'on l'appelle Steve. Et que ça le faisait également chier qu'on épèle son nom avec un v à la place d'un ph. Il a continué à discuter sur la question des prénoms jusqu'à ce que Stigmata de Ministry passe et que les gothiques et les pseudo-punks s'arrêtent de danser pour se lancer dans un violent pogo. Tout ce cirque était le fait d'un mec efféminé, une sorte
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