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j'avais déjà été puni à deux reprises par la directrice. La première fois<br />
pour avoir accidentellement frappé, à l'entrejambe, Mme Burdick, mon<br />
professeur de musique, avec un lance-pierres fait de ruban adhésif épais,<br />
d'une règle en bois, avec pour munitions des morceaux de Crayola piqués<br />
dans la salle de dessin. La seconde fois, Mme Burdick avait demandé<br />
d'apporter un album en cours de chant et j'étais venu avec Highway to<br />
Hell d'AC/DC. Ça n'avait encore pas suffi pour me faire expulser.<br />
Je tentai une dernière farce desespérée : je suis retourné dans le terrifiant<br />
sous-sol de Grand-père afin d'y voler un godemiché au fond du tiroir<br />
secret de son établi. J'ai mis des gants pour ne pas me tacher avec la vieille<br />
vaseline. Le lendemain, à la fin des cours, je suis entré subrepticement en<br />
compagnie de Neil Ruble dans la salle de classe de Mlle Price pour forcer<br />
le tiroir de son bureau. Il contenait quelques secrets personnels, certainement<br />
aussi tabous dans cette école que ceux de Grand-père dans sa<br />
banlieue : des romans d'amour semi-érotiques. Il y avait aussi un petit<br />
miroir, normal vu que Mlle Price faisait très attention à son image. À<br />
cette époque, Chad et moi essayions régulièrement d'attirer l'attention<br />
de deux sœurs qui vivaient à côté de chez nos grands-parents, en lançant<br />
des pierres sur les voitures pour provoquer des accidents, tout ça pour<br />
les faire sortir de chez elles. C'est la même démarche malsaine et tordue<br />
qui m'avait fait mettre un godemiché dans le tiroir de Mlle Price : je<br />
n'avais trouvé que cela pour exprimer ma frustration et le désir latent<br />
que j'avais pour elle.<br />
Le lendemain, à notre grande déception, personne n'en a parlé à l'école.<br />
Mais j'étais assurément le suspect numéro un : Mme Cole avait convoqué<br />
mes parents. Elle n'a pas mentionné le godemiché mais s'est contentée<br />
de leur faire un sermon sur la discipline et l'inculcation de la crainte<br />
de Dieu au délinquant juvénile que j'étais. C'est à ce moment précis que<br />
j'ai compris que je ne serais jamais viré. La moitié des gamins de l'Heritage<br />
Christian School était issue de familles défavorisées, l'école recevait<br />
de l'État une somme dérisoire pour les inscrire. Je faisais partie de ceux<br />
qui pouvaient payer, ils avaient besoin d'argent — même s'ils étaient obligés<br />
de supporter mes godemichés, mes cassettes de heavy metal, mes<br />
sucreries, mes fanzines cochons et mes enregistrements obscènes. J'ai pris<br />
conscience que si je voulais quitter cette école religieuse, cela ne dépendait<br />
plus que de moi. Deux mois en première m'ont suffi.<br />
« JE CONNAIS QUELQUES NOUVEAUX TRUCS », DIT LE CHAT<br />
DANS LE CHAPEAU. « UN TAS DE BONS TRUCS. JE TE LES MONTRERAI.<br />
TA MÈRE N'AURA SÛREMENT RIEN CONTRE SI JE LE FAIS. »<br />
ALLONGÉ<br />
sur mon lit dans le sous-sol de la<br />
maison de mes parents, les mains jointes derrière mon cou sous mes longs<br />
cheveux châtains, j'écoutais le ronflement de la machine à laver. C'était<br />
ma dernière nuit à Canton, Ohio. J'avais décidé de la passer seul pour<br />
réfléchir à mes trois dernières années en école publique. Tout était emballé<br />
pour le déménagement à Fort Lauderdale : disques, livres, T-shirts, journaux,<br />
photos, lettres d'amour, lettres de haine. L'école chrétienne m'avait<br />
bien préparé à l'école publique. Elle définissait les tabous, puis les maintenait<br />
à portée de main, juste assez loin pour m'empêcher de les attraper.<br />
En changeant d'école, tout était à ma portée — le sexe, les drogues, le<br />
rock, le surnaturel. Je n'ai même pas eu à les chercher. Ce sont eux qui<br />
m'ont trouvé.