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horrifiés, gênés. Je n'arrivais pas à<br />

me débarrasser de la sensation de<br />

cette morve qui s'étalait et formait<br />

une toile entre mes doigts.<br />

Elle venait de s'avilir et de me<br />

montrer sa vraie nature,<br />

révélant le monstre caché<br />

derrière le masque, un peu<br />

comme j'imaginais le révérend<br />

Angley. Elle n'était pas<br />

mieux élevée que moi, malgré<br />

ce que sa mère avait essayé<br />

de me faire croire. Je n'ai fait<br />

aucun commentaire... et ne lui<br />

ai plus jamais adressé la parole.<br />

À l'école chrétienne, je commençais<br />

aussi à perdre mes illusions. Un<br />

ANGE DANS LES NUAGES jour, au CM1, j'ai apporté une photo<br />

que Grand-mère Wyer avait prise au<br />

cours d'un vol entre la Virginie-Occidentale et l'Ohio et, sur ce cliché, il<br />

semble y avoir un ange au milieu des nuages. C'était l'un de mes objets<br />

préférés : j'étais excité de le partager avec mes professeurs, car je croyais<br />

encore à tout ce qu'ils m'enseignaient à propos des cieux. Je voulais donc<br />

leur montrer ce que ma grand-mère avait vu. Mais ils ont soutenu qu'il<br />

s'agissait d'un canular, ils m'ont passé un savon et m'ont renvoyé à la<br />

maison en m'accusant de blasphémer. C'était ma tentative la plus sincère<br />

de coller à leur idée du christianisme, de leur prouver que j'adhérais à<br />

leurs croyances, et ils me punissaient pour ça.<br />

Tout cela confirmait ce que je savais depuis le début : que je ne serais<br />

pas sauvé comme tout un chacun. J'y pensais tous les jours en quittant<br />

l'école ; je tremblais de peur en attendant la fin du monde, car évidemment<br />

je n'irais jamais au ciel et je ne reverrais jamais mes parents. Une<br />

année a passé, puis une autre et encore une autre, et le monde, Mlle Price,<br />

Brian Warner et les prostituées qui s'étaient régénérées étaient toujours<br />

là : je me sentais floué et trahi.<br />

Petit à petit, j'ai commencé à éprouver du ressentiment, à me méfier<br />

de ce que l'on me racontait dans cette école. Il devenait clair que toute<br />

cette souffrance dont ils voulaient se libérer en priant, ils se l'imposaient<br />

à eux-mêmes, mais aussi à nous par la même occasion. La Bête dont ils<br />

avaient si peur, c'était eux : c'est-à-dire l'Homme, et non pas quelque<br />

démon mythologique qui allait venir détruire l'espèce humaine. Leur<br />

propre peur avait créé la Bête.<br />

Les graines de ce que je suis devenu avaient été semées.<br />

« Les fous ne sont pas nés. » J'ai griffonné cette phrase dans mon carnet<br />

de notes pendant un cours de morale. « On les arrose et ils grandissent<br />

comme de la mauvaise herbe à cause d'institutions comme le christianisme.<br />

» Ce soir-là, au cours du dîner, j'ai tout avoué à mes parents.<br />

« Écoutez, leur ai-je expliqué, je veux aller à l'école publique, je ne me<br />

sens pas chez moi dans cette école. Ils sont contre tout ce que j'aime. »<br />

Mais ils n'ont rien voulu entendre. Ils ne tenaient pas spécialement à<br />

ce que j'aie une éducation religieuse, mais ils désiraient que je sois dans<br />

une bonne école. L'école publique la plus proche, GlenOak East, craignait.<br />

Je voulais y aller.<br />

Et la révolte commença. Ce n'était pas à la Christian Héritage School<br />

que je pouvais me rebeller. L'endroit était régi par des règles traditionalistes.<br />

On nous imposait des lois étranges pour nous habiller : les lundi,<br />

mercredi et vendredi, nous devions porter un pantalon bleu, une chemise<br />

blanche boutonnée et, si nous le désirions, une touche de rouge. Les mardi<br />

et jeudi, nous devions porter un pantalon vert foncé, ainsi qu'une chemise<br />

blanche ou jaune. Nous devions passer chez le coiffeur dès que nos<br />

cheveux touchaient nos oreilles. Tout était réglementé, ritualisé. Aucun<br />

d'entre nous n'avait le droit d'afficher la moindre différence, la moindre<br />

supériorité. Lâcher dans la nature tous ces diplômés en leur faisant croire<br />

que la vie était juste et qu'ils seraient tous traités sur un pied d'égalité<br />

n'était pas une très bonne manière de préparer leur entrée dans le monde.<br />

Dès l'âge de douze ans, je me suis embarqué dans une campagne<br />

toujours plus virulente pour être viré de l'école. J'ai très naïvement<br />

commencé avec des sucreries. J'avais toujours ressenti une parenté avec<br />

Willy Wonka. Même à cet âge, j'avais déjà compris qu'il était un antihéros,<br />

une icône de l'interdit. Et dans mon cas l'interdit était le chocolat,<br />

symbole de plaisir et de tout ce que vous n'êtes pas censé posséder, que<br />

ce soit le sexe, les drogues, l'alcool ou la pornographie. À chaque fois<br />

que Willy Wonka and the Chocolate Factory passait sur Star Channel,<br />

ou dans le miteux cinéma du quartier, je le regardais à en être obsédé,<br />

tout en vidant des sacs et des sacs de sucreries.<br />

À l'école, sucreries et bonbons étaient de la contrebande. Par conséquent,<br />

j'allais au Five and Ten de Ben Franklin, un magasin voisin qui<br />

ressemblait à une ancienne cafétéria et qui était bourré de Pop Rocks,<br />

Zotz, Lik-M-Stix et autres comprimés pastel ressemblant à des pilules et<br />

collant si bien à l'emballage qu'il est impossible de les manger sans avaler<br />

en même temps des lambeaux de papier. En y repensant, j'étais attiré<br />

par les sucreries qui ressemblaient le plus à des drogues. La plupart n'étaient<br />

pas de simples bonbons : ils produisaient également une réaction chimique.<br />

Ils pétillaient dans la bouche ou rendaient les dents toutes noires.

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