26.06.2013 Views

Untitled

Untitled

Untitled

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

due me tournait dans la tête : pouvait-elle demander la permission au<br />

médecin de garder le fœtus ?<br />

La nuit suivante, je suis resté à la maison — chose que j'avais beaucoup<br />

pratiqué récemment. Missi commençait à récupérer. J'avais laissé<br />

tomber les drogues et décroché complètement, et je savais que j'étais 1<br />

capable de le faire. J'en étais venu à me dire que les souvenirs de défonce<br />

et les quêtes de drogue étaient en fait beaucoup plus drôles que l'état de<br />

défonce lui-même. Je n'avais peut-être pas toujours contrôlé ma vie,<br />

mais, lorsqu'il le fallait, je trouvais en moi la volonté nécessaire et<br />

une capacité d'abnégation que n'avaient pas la plupart des gens que je<br />

rencontrais. J'avais également de l'ambition, une ambition hors du<br />

commun, et la dope s'était mise en travers du chemin de mon ambition.<br />

Je devais choisir entre les deux.<br />

Une fois Missi endormie, je me suis glissé hors du lit, je me suis installé<br />

dans le fauteuil de barbier, pour regarder l'ombre des gouttes de<br />

pluie éclaboussant une tête de bélier blanc surmontant un squelette humain<br />

de plus d'un mètre quatre-vingts, vestige de l'autel dans la Process Church<br />

originelle en Angleterre. Derrière moi, il y avait deux crânes de gorilles<br />

noircis et tachés dont les orbites vides me fixaient, énervées et colériques.<br />

Il fallait que je me concentre. Lorsque j'ai conçu Antichrist Superstar,<br />

j'avais pensé créer une apocalypse, et l'idée ne m'avait même pas effleuré<br />

qu'il s'agissait uniquement de la mienne. Enfant, j'avais été un gringalet,<br />

un asticot, un disciple, une petite ombre essayant de trouver sa place<br />

dans un monde infini de lumière. Au bout du compte, pour trouver cet<br />

endroit, il me faudrait sacrifier mon humanité — si on peut appeler humanité<br />

une vie fondée sur l'insécurité et la culpabilité. Il me faudrait opérer<br />

une mue, libérer mes émotions et expérimenter chaque extrême. Il<br />

me faudrait continuer à me taper la tête contre les murs jusqu'à ne plus<br />

rien ressentir.<br />

Mais à chaque tentative, je ne cessais de découvrir que je n'avais pas<br />

besoin de tout ça. J'étais face à une situation très simple : soit je mettais<br />

un pied dans la tombe, soit je devenais plus humain. Je sortais de sept<br />

mois de stress à force de travailler (ou de ne pas travailler) sur l'album<br />

et de m'occuper de Missi, j'avais commencé à émerger de ce cocon<br />

d'indifférence dépourvu d'âme. Plus les drogues me bousillaient le cerveau,<br />

plus mon humanité — larmes, amour, haine, respect de soi-même,<br />

culpabilité — remontait à la surface tout en prenant une nouvelle dimension<br />

qui m'était inconnue. Mes faiblesses se transformaient en force, ma<br />

laideur en beauté, mon indifférence pour le monde en envie de le sauver.<br />

J'étais devenu un paradoxe vivant. Pour la première fois de ma vie, je<br />

commençais à croire en moi. Je l'avais toujours exprimé dans ma musique,<br />

mais l'avais-je appliqué depuis mon arrivée à La Nouvelle-Orléans ?<br />

L'avais-je jamais appliqué ? En fait, est-ce que j'avais déjà montré que je<br />

croyais en moi ?<br />

Le lendemain, je suis tombé sur Sean Beavan, l'ingénieur du son que<br />

nous avions embauché pour coproduire l'album à la place de Dave Ogilvie.<br />

Nous avions déjà travaillé ensemble depuis Portrait of an American<br />

Family, et en dépit de son penchant pour les cappuccinos et les rollers,<br />

nous avions beaucoup de choses en commun, comme la musique et le<br />

transvestisme. Même si on travaillait dans le studio voisin de celui dans<br />

lequel Nine Inch Nails terminait le mixage de The Perfect Drug pour la<br />

bande-son du film de David Lynch, on s'en foutait complètement. On<br />

bossait, pas sur notre meilleur titre, mais sur le premier depuis que j'avais<br />

laissé tomber la cocaïne et l'alcool. Certaines chansons de l'album faisaient<br />

allusion soit au passé, soit au futur, mais celle-ci était l'une des<br />

seules parlant du présent. « Coupe tous tes doigts. /Vends-les pour quelques<br />

dollars/Rajoute du maquillage pour cacher toutes ces rides/Réveille-toi,<br />

arrête de trembler/Sinon, tu perds ton temps. » C'était le titre le plus autocritique<br />

que j'aie jamais écrit et je ne parlais pas que de moi. J'avais été<br />

emporté dans un tourbillon de dénigrement et de manque de sincérité qui<br />

semblait avoir touché tous ceux que j'avais rencontrés à La Nouvelle-<br />

Orléans. « Je vais être ton amant, je le serai pour toujours, je le serai<br />

demain, je suis capable de tout quand je suis raide. »<br />

Lorsqu'on a fait écouter ce titre à la maison de disques, ils ont détesté.<br />

Non seulement ils ne voulaient pas utiliser les roughs, mais en plus ils<br />

voulaient virer Sean. On m'a dit : « Écoute bien. On va trouver quelqu'un<br />

d'autre pour mixer l'album et on repousse la sortie. Pourquoi pas janvier<br />

plutôt qu'octobre ?<br />

- Pas question, ai-je insisté, fier de pouvoir faire la loi, MA loi. C'est<br />

le moment de le sortir et vous le savez très bien. »<br />

C'est la dernière fois où j'ai demandé l'opinion de quelqu'un sur mon<br />

travail.<br />

Au cours des semaines suivantes, je me sentais de plus en plus heureux<br />

à chaque fois que j'entrais dans le studio : je faisais cet album tout<br />

seul, sans conseiller, sans manager, sans flagorneur. Plus on avançait dans<br />

l'enregistrement, plus l'album servait d'aimant, attirant le groupe au studio,<br />

d'abord pour voir, puis pour travailler. On avait trouvé un remplaçant<br />

à Daisy, un type de Chicago trompeusement affable, végétarien et<br />

qui avait un mauvais goût notoire question femmes. Il est aujourd'hui<br />

connu sous le nom de Zim Zum : il passait ses journées à regarder des

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!