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plus la dernière fois où j'avais pleuré — ou même lorsque j'en avais eu<br />

envie. « Je perds pied. » J'ai éclaté en sanglots.<br />

« Tu peux venir dans la cabine ? » grésillait la voix dans les retours.<br />

« Bon, m'a directement dit Trent, tu en fais un peu trop. »<br />

Dave a ajouté : « Tu ajoutes un peu trop d'émotion. On va faire une<br />

nouvelle prise, mais laisse tomber les trémolos. C'est pas du Shakespeare.<br />

- Attendez, j'y crois pas... », avant de m'interrompre : cela n'aurait<br />

rien changé si je leur avais annoncé que s'ils étaient mes amis, comme je<br />

l'avais cru, ils auraient compris que mon désespoir était bien réel.<br />

J'aurais dû rentrer immédiatement à la maison — et je l'ai regretté<br />

tant de fois par la suite — mais je suis resté. Non, je me suis auto-puni<br />

en avalant alcool, médicaments, drogues, en plus grande quantité et de<br />

plus en plus souvent, comme je le faisais depuis mon retour à Canton.<br />

Mais cette nuit était particulière. J'avais retrouvé une ombre d'humanité<br />

dans le studio et j'étais terrifié. Je n'en avais pas l'habitude, je ne voulais<br />

pas savoir. Le soleil se levait lorsque Trent m'a déposé chez moi : je suis<br />

entré dans la maison à pas de loup pour ne pas réveiller Missi. La lumière<br />

de la chambre était allumée, Missi était au lit, allongée sur le dos sans<br />

aucune couverture sur elle. Elle tremblait et transpirait tellement qu'elle<br />

avait trempé les draps. Elle ne s'est même pas rendu compte de ma présence,<br />

ses yeux roulaient dans ses orbites.<br />

Je l'ai secouée, je lui ai parlé, tout en posant la main sur son front brûlant.<br />

Mais elle restait inconsciente. Je m'en voulais de ne pas être rentré<br />

plus tôt, de ne pas avoir prêté attention quand elle m'avait dit qu'elle<br />

couvait la grippe, d'avoir totalement oublié d'acheter des médicaments<br />

et de toutes les fois où je m'étais bagarré avec elle et où j'avais maudit<br />

son existence depuis six mois. Je me demandais si la satisfaction de mes<br />

plaisirs personnels n'était pas en train de la tuer.<br />

C'était la seule personne au monde pour qui je ressentais de l'amour,<br />

et si je la perdais, je détruisais en même temps ma seule chance de redevenir<br />

un être humain normal, avec ses sensations, ses sentiments, ses passions<br />

; je détruisais essentiellement ma propre personne.<br />

J'ai paniqué. Non seulement j'étais trop blindé pour conduire, mais<br />

même si j'avais voulu, la voiture de Missi n'était pas automatique. Malgré<br />

nos récents différends, Trent était la seule personne sur laquelle je<br />

pouvais compter à La Nouvelle-Orléans. Je l'ai appelé sur son portable,<br />

et, ensemble, nous avons rapidement emmené Missi à l'hôpital où elle<br />

m'avait conduit lorsque j'avais fait mon overdose. Les infirmières l'ont<br />

transportée en fauteuil roulant jusqu'à la salle des urgences et lui ont<br />

immédiatement fait une piqûre d'adrénaline pour la maintenir en vie. Sa<br />

température atteignait les 42°, ce qui aurait bousillé le cerveau de la plupart<br />

des gens. Plusieurs heures plus tard, le soleil se levait, laissant der-<br />

rière lui une nouvelle journée de représailles, deux médecins ont accompagné<br />

Missi dans la salle d'attente où je me tenais avec Trent, toujours à<br />

mes côtés. Trent n'avait aucune raison d'être là : il n'y était pour rien.<br />

Mais il avait tenu à rester. Je m'étais peut-être trompé sur l'amitié qu'il<br />

me portait. Après tout, depuis trois ans que je le connaissais, Trent était<br />

devenu le frère que je n'avais jamais eu.<br />

Les médecins m'ont expliqué que Missi était enceinte de trois mois,<br />

et si elle décidait d'avorter, il lui faudrait attendre que sa grippe soit soignée.<br />

Je savais qu'au cours de notre relation j'avais déformé sa personnalité<br />

pour qu'elle convienne à la mienne. Je me rendais compte à présent<br />

que j'avais aussi déformé son corps.<br />

J'ai passé la nuit suivante seul dans la cabine du studio à réécouter les<br />

mixes non travaillés de Tourniquet, un titre qui m'avait été inspiré par<br />

l'un de mes cauchemars apocalyptiques. Je n'arrivais pas à me décider<br />

s'il fallait le refaire ou pas. En réalité, j'essayais de me trouver dans cette<br />

chanson, de découvrir un fil conducteur, une réponse ou une solution,<br />

une issue de secours au bordel qu'étaient devenues ma vie et ma carrière.<br />

J'écoutais le morceau en boucle à en avoir la nausée, incapable de juger<br />

si c'était bon ou pas : je ne savais même plus si c'était moi qui l'avais<br />

écrit. Hébété, j'ai saisi le micro branché sur l'ordinateur, terrassé par un<br />

de ces évanouissements qui me prenaient régulièrement. Doucement, calmement,<br />

je tapais de ma main gauche sur la table comme les signaux en<br />

morse du S.O.S. tout en murmurant : « Je... me... sens... très... vulnérable.<br />

» J'ai repassé la bande à l'envers et j'ai ajouté au début de la chanson<br />

cet appel de détresse que personne sauf moi ne pouvait entendre.<br />

Je me suis écroulé sur la chaise tournante en essayant de mettre mes<br />

idées au clair. Les mots me venaient d'eux-mêmes aussi roses et sensibles<br />

que la tête d'un nouveau-né. Je me demandais si le monstre avili, amoral<br />

et dégradé que j'étais devenu était en train de mourir (ou avait été<br />

assassiné), et cédait la place, comme Anton LaVey me l'avait prédit un<br />

an auparavant, à un être nouveau, sûr de lui, rempli d'émotions, à un<br />

être terrifiant, mais beau et puissant, à Antichrist Superstar — rédempteur<br />

dont personne ne permettrait la naissance. Ce que ni moi ni personne<br />

à mes côtés n'avait su, c'est que le même agent corrosif qui m'avait décapé<br />

de mon humanité était aussi responsable de la tentative de meurtre sur<br />

Antichrist Superstar à peine né. Autrement dit : la trahison. Trahison était<br />

le seul mot que ressassait mon esprit, comme on remue un couteau dans<br />

une plaie. Mes grands-parents, Chad, mes profs de l'école chrétienne,<br />

mes premières petites amies, personne n'avait jamais appliqué ce qu'il<br />

disait. Ils avaient gâché leur temps à essayer de vivre dans un monde de<br />

mensonges dont ils étaient les seuls responsables. Il n'y avait qu'en privé<br />

qu'ils se révélaient être les démons, les hypocrites et les pécheurs qu'ils

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