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cation, profité des mêmes avantages, des mêmes inconvénients. C'est<br />

comme ça que m'est venue la phrase qui clôture l'album : « L'enfant que<br />

vous avez aimé est l'homme dont vous avez peur. »<br />

À la sortie, je suis allé à la rencontre du frère et de la mère de Chad,<br />

scandalisés que j'aie osé mentionner le nom de Grand-père dans la presse.<br />

Sa mère m'a réprimandé sèchement : « Pourquoi te sens-tu obligé de<br />

raconter nos secrets de famille ? »<br />

Je lui ai répondu sèchement : « De toute façon personne ne croit ce<br />

que je dis. » Grand-père était décédé le jour du dernier Thanksgiving :<br />

j'avais décidé de ne pas assister à son enterrement et ma famille avait<br />

alors tacitement conclu un pacte pour m'excommunier.<br />

Tous les gens à qui je parlais me demandaient si j'étais homo, junkie<br />

ou adepte de Satan. Aucune parole gentille ; personne ne cherchait à me<br />

comprendre. Je n'étais plus Brian Warner, j'étais un pauvre type repoussant<br />

et indéfinissable, qui était lentement sorti d'un égout pour polluer<br />

leur vie trop lisse. Chad était trop jeune et trop intelligent pour tomber<br />

dans ce piège, et je ne voulais pas grandir et avoir à supporter cette existence<br />

réglée d'avance. Certes ma vie n'était pas plus brillante. Il devait<br />

exister une troisième voie.<br />

Après la cérémonie, on est retournés chez Grand-mère. Tout le monde<br />

était assis, buvait du vin et mangeait des petits gâteaux, luttant pour<br />

essayer de trouver quelque chose d'intéressant à dire. Je me suis éclipsé<br />

pour explorer la cave de Grand-père. Apparemment, rien n'avait beaucoup<br />

changé : mais le train électrique s'était volatilisé ainsi que la poire<br />

à lavement. L'armoire à pharmacie blanche avait également été vidée. Les<br />

photos pornos cachées derrière le miroir du plafond n'étaient plus là. Par<br />

contre, quand j'ai ouvert une des boîtes de peinture, je suis tombé sur les<br />

films seize millimètres. J'ai attrapé le premier de la pile pour le regarder<br />

par transparence dans la lumière jaunâtre qui passait par la fenêtre poussiéreuse<br />

: un Black était en train de faire l'amour avec une grosse blonde.<br />

J'ai pris une autre bobine au hasard que j'ai glissée avec l'autre sous la<br />

ceinture de mon pantalon.<br />

Je ne me voyais plus petit et effrayé dans cette cave. En fait, c'était la<br />

première fois que je me sentais chez moi depuis que j'étais revenu à Canton.<br />

Je me trouvais désormais beaucoup de points communs avec Grandpère<br />

: je n'étais plus le môme innocent qui explorait sa cave, ce qui allait<br />

totalement à l'encontre des promesses que je venais de faire à l'église<br />

comme quoi je ne grandirais jamais. Comme Grand-père, je portais de<br />

la lingerie féminine et je pratiquais des actes sexuels beaucoup plus pervers<br />

que ceux montrés dans des magazines du style Watersports et Anal<br />

Only. Grand-père avait été l'image la plus laide, sombre, obscène et dépravée<br />

de mon enfance, une bête plus qu'un homme, et j'avais grandi pour<br />

lui ressembler, enfermé à la cave avec mes secrets tandis que tout le monde<br />

faisait banalement la fête à l'étage au-dessus. Dans cette cave, je voyais<br />

mon moi inéluctable, noir et antique, comme un crabe qui essaie de sortir<br />

de sa carapace : je me sentais sale, fragile, obscène. Pour la première<br />

fois de ma vie, j'étais vraiment seul.<br />

Les premières semaines qui ont suivi mon retour à La Nouvelle-Orléans<br />

ont servi à me prouver une chose : la situation était pire que ce que j'avais<br />

imaginé. Cette pause avait détruit le dernier appui qui me retenait et,<br />

pour aggraver le tout, je me retrouvais au studio, exactement dans la<br />

même situation d'autodestruction et d'inutilité. J'allais à des orgies de<br />

drogue qui duraient des jours et se terminaient en évanouissements,-en<br />

bagarres, et détruisaient tout ce que je possédais et aimais. Ma vie, mon<br />

groupe, le disque partaient en morceaux. Je n'étais plus qu'un cliché du<br />

milieu du rock'n'roll et je n'avais toujours pas percé.<br />

Assis dans le studio en compagnie de Twiggy pour enregistrer The<br />

Minute of Decay, j'ai été écrasé par la futilité d'un tel projet. Certes, je<br />

m'étais absenté, mais je m'étais dit que tout allait continuer à marcher<br />

sans moi. Le grand disque que nous pensions enregistrer s'est révélé être<br />

de la merde. J'allais chanter sur un ampli de guitare, sur une batterie qui<br />

n'était qu'une boîte à rythmes fixée à une radiocassette, avec Twiggy à<br />

la basse sur un ampli pourri. La seule chose de valeur dans le studio était<br />

le tas de coke bien attaqué que nous avions en face de nous. Comme un<br />

oiseau au milieu de l'océan, j'avais beau battre des ailes, me tortiller et<br />

batailler, je n'avais aucun moyen de m'en sortir. J'étais suspendu à un fil<br />

que je n'arrivais pas à couper. Ces dernières années, j'avais travaillé si<br />

dur et je me retrouvais coincé là, à douter de mon projet artistique et de<br />

ma propre existence. Le seul truc dont j'étais sûr — et dont j'avais toujours<br />

été sûr — était qu'il y avait une porte de sortie. Mais je refusais d'y<br />

penser. La vérité ? J'étais trop égoïste pour me suicider et avouer — non<br />

seulement aux gens présents dans le studio, mais à toute ma famille, mes<br />

professeurs, mes ennemis, au monde entier — qu'ils avaient gagné.<br />

J'ai commencé à chanter. « Il n'y a plus de place pour l'amour. » Puis,<br />

par simple réflexe, j'ai sniffé une ligne de coke avant d'enchaîner : « Trop<br />

fatigué pour haïr. » La dope ne me faisait plus aucun effet. « Je sens le<br />

vide. » Un truc mouillé s'est écrasé en plein milieu du tas de poudre<br />

blanche. « Je sens le début de la fin. » C'était une larme. « Je perds pied. »<br />

Je pleurais. « Je voudrais t'entraîner avec moi. » Je ne me rappelais même

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