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Comme réponse, elle m'a balancé son verre en pleine figure — et pas<br />

seulement le contenu, mais le contenant aussi. Je lui ai expédié ma bouteille<br />

de bière et j'ai aussitôt senti des mains me retenir avant de me virer<br />

du bar. Elle m'a suivi à l'extérieur en hurlant quelque chose d'inintelligible<br />

: j'étais certainement un traître, un salaud ou un type trop bien pour<br />

elle. Elle fantasmait sur le fait que sa propre existence était d'une telle<br />

importance que je ne pouvais pas l'ignorer.<br />

Avec la boule à facettes roulant encore à mes côtés, je suis entré en<br />

courant et en zigzaguant dans une ruelle proche qui longeait une grande<br />

église espagnole blanche et je me suis caché dans un coin. Un lieu de culte<br />

était certainement le dernier endroit où les flics me chercheraient. J'avais<br />

coincé le sac à zip dans mon poudrier. je l'ai sorti pour nous faire quelques<br />

lignes avec les clefs de la maison. Je ne sais pas pourquoi j'ai sniffé la<br />

coke de cette fille, si ce n'est parce qu'elle en avait. Je l'ai immédiatement<br />

regretté. J'ai eu l'impression que mon cœur allait exploser. Je suis reparti<br />

en courant, abandonnant la fille derrière moi, à la décennie à laquelle<br />

elle semblait appartenir, et j'ai hélé un taxi. Le chauffeur, un balourd<br />

blanc en marcel aux cheveux graisseux et à l'immense moustache brune,<br />

a aussitôt entamé la conversation.<br />

« Vous avez vu La Planète des singes ? On n'est pas dans La Planète<br />

des singes, avec tous ces nègres partout ?<br />

- De quoi vous parlez ?<br />

- Eh ben, regardez autour de vous.<br />

- Le Sud peut avoir tant de charme, lui ai-je répondu avec un air<br />

dégoûté qui ne lui a pas échappé.<br />

- T'es pédé ou quoi ? » m'a-t-il balancé méchamment.<br />

Je ne sais plus exactement ce que je lui ai répondu, mais il devait y<br />

avoir un truc du genre « va te faire mettre », « trou du cul » ou « sucemoi<br />

la bite » — parce qu'il s'est arrêté au milieu de la rue en faisant<br />

crisser les pneus, m'a collé son poing de singe velu en pleine figure au<br />

travers de la glace de séparation et m'a dit de dégager de son taxi.<br />

J'ai fini à pied les quelques centaines de mètres qui me séparaient de<br />

chez moi, le nez en sang, mon cœur et ma tête battaient à l'unisson et<br />

le mélange de mauvaise dope et de coups m'a fait penser à cette phrase<br />

de Charlton Heston : « Enlève tes sales pattes de moi, salopard de singe. »<br />

Lorsque j'ai ouvert la porte d'entrée, une tornade était passée par là. Mes<br />

disques avaient été balancés dans tout l'appartement et griffés par Polly,<br />

la chatte blanche de Missi, qui ressemblait à s'y méprendre à celle du<br />

frère de John Crowell, sauf que l'un de ses yeux était bleu et l'autre vert.<br />

J'ai posé mes clefs sur la table, Polly s'est jetée sur ma main en déchirant<br />

la peau sur mes tendons. Je l'ai saisie violemment par le cou. Missi était<br />

au téléphone, en train de se plaindre à une copine ; elle faisait semblant<br />

de ne pas me voir. Mais, lorsque du coin de l'œil elle a vu que j'allais<br />

décalquer le chat contre le mur, elle a vite raccroché et a commencé à me<br />

hurler dessus. Ce qui n'a fait qu'empirer lorsqu'elle a vu sur mon visage<br />

le sang mélangé au maquillage.<br />

Tout le monde dans la maison m'en voulait, même le chien qui comme<br />

d'habitude s'était attaqué au livre que j'étais en train de lire (le Tetragrammaton)<br />

et l'avait mis en lambeaux. Mon cœur battait de plus en plus<br />

vite, de plus en plus fort, je me suis précipité dans la salle de bains où je<br />

me suis enfermé. De l'autre côté de la porte, Missi m'entendait vomir et<br />

vomir : elle s'est calmée et ses assauts se sont transformés en compassion,<br />

ce que je ne méritais vraiment pas. La panique m'envahissait, chose normale,<br />

car plus on est inquiet d'être trop défoncé, plus la situation empire<br />

puisque le stress fait battre le cœur de plus en plus vite. Et pour en rajouter<br />

une couche, je ne pensais qu'au fait que, comme mon père, j'étais<br />

atteint du syndrome de Wolf-Parkinson-White, qui provoque des accélérations<br />

cardiaques irrégulières : je ne passerais sûrement pas la nuit.<br />

J'essayais de me détendre en m'allongeant sur le sol et en buvant de<br />

l'eau, mais mon cœur m'oppressait trop pour je puisse me relaxer ; je le<br />

voyais donner de grands coups sous ma poitrine lacérée. Je n'avais pas<br />

peur de mourir. J'étais surtout effrayé d'être arrêté par les flics et qu'ils<br />

m'interrogent. Pendant que Missi essayait de trouver une solution pour<br />

m'emmener à l'hôpital sans que la presse et la police soient au courant,<br />

j'ai jeté le petit sac vide dans les toilettes et nettoyé mes cartes de crédit.<br />

Puis je me suis penché sur les toilettes, j'avais des haut-le-cœur. Ensuite<br />

j'ai enfilé des vêtements propres et ordinaires, et j'ai demandé à Missi de<br />

me conduire à l'hôpital. Ce n'était pas moi-même qui agissais, on aurait<br />

dit que quelqu'un d'autre faisait ces préparatifs. De cette position avantageuse,<br />

j'étais impressionné de me voir agir aussi rationnellement qu'un<br />

type qui a pris une trop grosse cuite et dont le cœur tambourine vite et<br />

lourd. La crise cardiaque était proche. Mon bras gauche me lançait et je<br />

me rappelais que, quelques années plus tôt, on m'avait dit que c'était les<br />

signes avant-coureurs d'un infarctus.<br />

Je me suis réveillé dans un état de confusion totale sur un lit d'hôpital<br />

aux côtés d'un mort. De la nuit précédente, je ne me souvenais que<br />

d'une suite d'images. Au début, ce n'était que quelques instantanés qui<br />

ont doucement commencé à se multiplier pour finalement former un film<br />

entier. Le seul chaînon qui manquait vraiment à l'histoire était mon arrivée<br />

à l'hôpital : je me souviens d'une grosse femme noire qui s'est occupée<br />

de mon admission, je me souviens d'une perfusion, et je me souviens<br />

d'avoir pensé : « À présent je sais ce qu'a ressenti Brad Stewart. »<br />

Cette nuit-là, au fur et à mesure que je reprenais connaissance dans<br />

ce lit d'hôpital, j'essayais de comprendre pourquoi ça m'avait traversé

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