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homme est mort. »<br />

Une voix masculine parlait quelque part au-dessus de moi. Ses paroles<br />

étaient les premiers sons que j'entendais depuis des heures, ou peut-être<br />

des jours. Je ne savais pas depuis combien de temps j'étais allongé là.<br />

Je ne savais même pas où j'étais, si je vivais encore. J'essayais de me<br />

libérer, mais je n'y arrivais pas. Mon bras gauche me picotait. Tout le<br />

reste de mon corps était engourdi et faible, comme les membres en bois<br />

d'une marionnette désarticulée, à qui on aurait coupé les fils. J'essayais<br />

d'ouvrir les yeux, de soulever les paupières, en vain. Il fallait que je me<br />

réveille pour leur dire que je n'étais pas mort. J'étais toujours en vie. Mon<br />

heure n'était pas venue. Il me restait tant de choses à accomplir.<br />

Mes paupières se sont mises à battre, découvrant une pellicule bleue<br />

et floue qui troublait ma vision. Tout ce que je percevais, c'était une<br />

lumière blanche aveuglante qui pénétrait mon corps, ou du moins ce qui<br />

en restait. Mon heure n'était pas venue. Je le savais.<br />

Le revers d'une main osseuse et variqueuse m'a caressé le front. Je ne<br />

sais pas depuis combien de temps elle est là. Une ombre hideuse, vieille,<br />

corpulente, sentant le fromage aigre et le bois humide me cachait la<br />

lumière. Elle s'est mise à parler : « Dieu t'aimera toujours. » La voix était<br />

celle d'une femme toussant calmement dans le creux de sa main, en<br />

secouant son habit de nonne, avant de continuer de me caresser le front<br />

du revers de la main dans laquelle elle venait de cracher.<br />

J'arrivais à présent à sentir ma poitrine. J'étais oppressé, mon cœur<br />

me faisait mal. Il y avait un peu de tapage à mes côtés. Un vieil homme<br />

émacié, recouvert d'escarres à cause du matelas, de l'âge ou de ses os<br />

pointus, venait de mourir dans le lit près du mien.<br />

Une main plus douce m'a attrapé la mâchoire et me l'a maintenue<br />

ouverte. « Vous allez avoir très mal à la tête, mais ça permettra à votre<br />

cœur de mieux fonctionner. » Elle a placé quelque chose sous ma langue,<br />

un truc qui faisait des bulles, pétillait et me chatouillait. Puis elle a éteint<br />

la lumière violente au-dessus de mon lit. Mon corps s'est tassé un peu<br />

plus dans le lit, mon sang a de nouveau circulé dans ma tête, m'enveloppant<br />

d'une douce chaleur tandis que je me rendormais.<br />

Lorsque je me réveillai, j'étais dans le noir et la pièce était vide. Mes<br />

tempes battaient fort sous ma peau, mon bras gauche était toujours<br />

engourdi. Par contre, j'avais l'impression de recouvrer mes forces. Je ne<br />

portais qu'une blouse d'hôpital verte ouverte dans le dos. Mes habits formaient<br />

un tas noir, soigneusement plié par terre, et sur la table de chevet<br />

il y avait un grand sac-poubelle jaune citron. J'essayais de me rappeler<br />

pourquoi j'étais là.<br />

Malgré une douleur qui me secouait les côtes, j'ai réussi à tendre<br />

la main jusqu'à la table. Dans le sac, il y avait une brosse à dents, du<br />

dentifrice, un stylo, une boîte à maquillage et un calepin noir — mon<br />

journal intime.<br />

Je l'ai ouvert à la première page en essayant de fixer mon attention<br />

sur les lignes bleues qui tanguaient.<br />

Au restaurant, je n'arrive pas à supporter les gens qui rient, qui<br />

s'amusent, qui profitent de la vie. Leur pitoyable bonheur me<br />

rend malade. Et quand je regarde la télé, c'est la vraie vie qu'on<br />

me montre ? C'est une blague ? On élève des enfants pour leur<br />

faire croire que la vie, c'est Alerte à Malibu, des rires enregistrés,<br />

Jenny Jones et ses reality-shows ? De stupides ménagères<br />

secouant leurs jambes flasques pour maigrir grâce au Thighmaster<br />

de Suzanne Somer ? C'est elle qui a participé à la création<br />

du stéréotype de la gourde blonde et elle a fini par devenir<br />

cette espèce d'héroïne populo-médiatisée qui essaie de nous<br />

vendre un appareil inutile et dont le discours ressemble aux dialogues<br />

d'un film porno ou aux paroles d'une chanson d'Aerosmith.<br />

Saloperie de consumérisme aveugle. Les cons n'ont que<br />

ce qu'ils méritent. Ils sont capables de porter des T-shirts sur<br />

lesquels est inscrit « Je suis très con », uniquement parce que<br />

Cindy Crawford leur a expliqué que c'était cool. J'aimerais les<br />

tuer tous, mais ce serait leur rendre service. La pire punition<br />

qu'ils méritent est de se lever tous les matins pour mener leur<br />

vie à la con, élever leurs connards de môrnes dans leurs baraques<br />

de merde et, bien sûr, que je fasse un album intitulé Antichrist<br />

Superstar qui les emmerdera et les anéantira tous les uns après<br />

les autres. Que l'Amérique aille se faire foutre. Et moi aussi. Le<br />

monde écarte les jambes pour une autre putain de star...<br />

J'avais écrit ces lignes le jour de mon arrivée à La Nouvelle-Orléans<br />

quatre mois auparavant. Je m'en souvenais comme si c'était hier, car,<br />

depuis que j'avais mis les pieds ici, tout avait été de mal en pis, et finalement<br />

j'étais démoli par les drogues, la fatigue, la paranoïa et la dépression<br />

; mon corps avait fini par me lâcher et m'abandonner dans cet hôpital<br />

à l'odeur fétide et aux murs blancs. J'étais pourtant optimiste après<br />

avoir assuré la promotion de Smells Like Children. Je ne doutais plus de<br />

moi — enfin, je le croyais — même si cela m'avait pris deux années de<br />

tournée. De ce cocon avait émergé une gargouille maléfique, dure et sans<br />

âme, confortable et terrifiante, couverte de cicatrices et engourdie, prête<br />

à déployer ses ailes rugueuses. Mon but était d'écrire un album sur la

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