Untitled

seule chose qu'on avait en tête était de faire fumer les os de Freddy à ces
gens de L.A. très cools et très branchés. En leur racontant que c'étaient
les dernières cigarettes à la mode en France. On a pris une des côtes de
Freddy, on en a réduit une partie en petits morceaux qu'on a mis dans
une pipe. On l'a allumée et on a tiré chacun une bouffée, laissant nos
poumons se remplir de la fumée de ce cadavre inconnu. Tandis que la
chambre se remplissait d'une puanteur de cadavre en train de brûler, on
a réussi à convaincre deux chieuses de tirer sur la pipe. Elles se sont toutes
les deux retrouvées malades et ont quitté la chambre, ce qui était notre
but premier. Twiggy a passé le reste de la nuit à vomir dans les toilettes
et j'ai terminé la mienne en rêvant que j'étais possédé par un prêtre baptiste
louisianais de la fin du siècle dernier.
Avec le recul, l'expérience a presque été aussi mauvaise que certaines
rencontres que j'avais faites avec d'autres drogues normales à base de
plantes. Alors que nous nous traînions en compagnie de Nine Inch Nails,
peu de temps avant l'incident de l'os fumé, ils m'ont offert l'un des rares
narcotiques auxquels je n'avais jamais touché : des champignons. Pogo,
Twiggy, la plupart des membres de Nine inch Nails et moi-même, on a
ingurgité plusieurs capsules avant d'aller dans un endroit du nom de Mars
Bar. On a mis une heure pour y arriver alors qu'il était supposé être juste
à côté. En chemin, on a lentement bu de grandes gorgées de Budweiser.
Mais peu importe la quantité, nous étions incapables de finir la moindre
d'entre elles. Soit quelqu'un chez Budweiser était un génie, soit les champignons
nous avaient vraiment assommés.
Le Mars Bar était exactement le mauvais endroit où aller vu l'état dans
lequel nous étions. Il était situé dans un centre commercial abandonné
situé sur le front de mer, qui donnait la chair de poule, et la seule façon
d'y accéder était d'emprunter un ascenseur délabré plongé dans le noir.
On était avec Bill Kennedy, un célèbre producteur de heavy métal qui, en
me rentrant dedans, s'est transformé en diable dont les cheveux étaient
des flammes, les dents des grains de blé, et dont la taille était entourée
de serpents en train de se contorsionner. Lorsqu'il gloussait, des mégots
de cigarettes entraient et sortaient de sa bouche comme du pop-corn qui
rebondit dans un distributeur. Ce véritable cauchemar me rappelait trop
tard pourquoi je ne devais jamais prendre de drogues psychédéliques.
La porte de l'ascenseur a fini par s'ouvrir... sur une pièce remplie de
squelettes marron. Tout le monde y était décharné, bronzé et dans la
pénombre, d'un marron d'outre-tombe. Les meubles étaient tous trop
petits, un peu comme dans Alice aux pays des Merveilles. J'ai regardé
Pogo : une petite lumière rouge était pointée sur lui comme s'il allait être
enlevé par des aliens. Je lui ai demandé si ça allait. Il m'a souri. « Je vais
tuer quelqu'un. » J'étais terrifié car il pensait ce qu'il disait.
Heureusement, une issue de secours m'a vite été offerte grâce à un
type à l'air sympathique qui s'est approché de moi pour me dire qu'il me
connaissait. Je me souvenais vaguement de lui : c'était le barman du Reunion
Room où nous avions joué nos premiers shows.
« Cette boîte est à moi, a-t-il dit. C'est moi le patron.
- Super, ai-je répondu, tu peux m'emmener ailleurs qu'ici ? Je vais
péter les plombs. »
Il m'a donc emmené à l'arrière du club et a ouvert une porte donnant
sur une immense glacière. Je suis entré et il m'a suivi, puis a refermé la
porte derrière lui.
« Tu sais, m'a-t-il dit, tu es sorti avec l'une de mes ex. »
Je me suis senti piégé. J'essayais de ne pas l'entendre et je regardais les
murs sur lesquels des gargouilles grotesques me dévisageaient d'un air
menaçant. J'essayais de penser à autre chose, et je ne pouvais qu'imaginer
Pogo sans doute en train de tuer quelqu'un à l'instant précis ; il faudrait
que j'appelle les flics. Je me foutais totalement de savoir qui il était
en train de tuer ou s'il allait finir sur la chaise électrique pour ça. Tout ce
que je voulais c'était ne pas me retrouver face aux flics tant que les champignons
feraient leur effet.
La porte de la glacière s'est ouverte et une douzaine de personnes s'y
sont entassées. « Ça va ? » m'a demandé quelqu'un qui semblait s'en préoccuper.
Je ne pouvais pas parler. J'étais terrorisé, totalement embrouillé.
Il fallait que je pisse, que je chie, que je fasse quelque chose. Twiggy était
avec eux, mais il ne cessait de raconter des conneries à propos d'un canoë
qu'il voulait voler pour faire le tour du port.
Je me suis enfui dans une autre pièce où se trouvait une alcôve sous
l'escalier qui, pour une raison inconnue, était remplie d'oreillers. Je me
suis allongé dessus et j'ai profité de la solitude. J'entendais les autres
dehors, en particulier Twiggy qui essayait de sauter dans l'eau, à la
recherche d'un canoë. J'étais très inquiet : et s'il se noyait ? Il faudrait
que je raconte tout aux flics. J'étais obsédé par cette question et je me
foutais royalement de savoir qui était mort ou assassiné. Je ne voulais
surtout pas avoir affaire aux flics.
Lorsque le soleil s'est levé, j'ai commencé à retrouver une partie de
ma lucidité. Je suis sorti en trébuchant dans l'air humide du matin pour
découvrir quatorze personnes entassées dans un minibus prévu pour dix.
Sur le chemin du retour, Trent a proposé de s'arrêter dans un McDo Drive
In où il a commandé suffisamment d'Eggs McMuffin, de pommes de terre
sautées, de jus d'orange, de Cocas, de cafés et de friands pour nourrir
tout le pénitencier de Jacksonville.
Avant même d'avoir eu le temps de manger, Trent a lancé une pomme
de terre sautée détrempée sur Twiggy. En essuyant la pomme de terre