Untitled

sympa. Mais, soit le type avait trop peur pour répondre, soit il avait envie
d'être seul.
L'alcool étant la meilleure manière de se faire des copains, on lui a
offert une bouteille de vodka. Maintenant qu'on était sur la même longueur
d'onde, on lui a proposé de nous suivre dans notre délire. On lui
a fait mettre une perruque, on l'a poussé à danser et chanter avec nous.
On avait l'impression d'avoir quatre ans : c'était très agréable.
Twiggy s'est mis à chanter Hey Joe pour que le gentleman entre en
action. « Hey Joe, qu'est-ce que tu fais aujourd'hui ? Tu penses que tu
pourrais nous suivre ? » Mais Joe n'a pas dansé et n'est allé nulle part.
Il s'est pissé dessus, inondant nos pieds nus de son urine à 120° d'alcool.
On était tellement interloqués par cette performance impromptue
qu'on n'a pas fait attention aux sirènes qui hurlaient derrière nous. Quelqu'un
avait dû appeler la police. Sur la tournée avec Danzig, j'avais eu
un accrochage correct avec les flics : ils m'avaient arrêté pour avoir montré
mon cul en public et, au lieu de m'humilier au poste, ils s'étaient
contentés de me mettre un P.V., avant de s'excuser pour le dérangement.
Enfin, l'un d'entre eux m'avait demandé la permission de se faire prendre
en photo avec moi : c'était l'un de mes fans. Mais je savais très bien que
j'avais eu de la chance, que ça ne deviendrait pas une habitude. Je ne
tenais pas à prendre de risques à La Nouvelle-Orléans, surtout le jour où
je ne portais rien d'autre qu'un vague cache-sexe en carton.
« Ne bougez plus, mettez les mains contre le mur », a craché un hautparleur
placé sur le toit d'un des véhicules de police. J'ai regardé Twiggy,
Twiggy a regardé Pogo, Pogo a regardé Joe. Joe était encore en train de
se pisser dessus.
Alors on a fait ce que ferait n'importe quel citoyen respectueux de luimême
face à l'autorité : sans même nous retourner, on a pris nos jambes
à notre cou. Après une petite interruption qui consistait à s'écrouler
quelques heures, on est repartis vers de nouvelles aventures.
En compagnie d'un couple ressemblant à un cliché tellement ils étaient '
tatoués et piercés, on est allés en voiture jusqu'au cimetière, à la sortie
de la ville. On nous avait dit que les os y poussaient comme des fleurs.
Au lieu des statues, des sépulcres et des rangées de pierres tombales bien
droites que nous pensions trouver, nous avons débarqué dans un endroit
qui avait tout l'air d'un charnier datant du dix-neuvième siècle. Il y avait
des dents au milieu de la poussière et des cailloux, des os brisés de bras
et de jambes saillant à l'air libre telles des herses sur un parking. On a
traîné là pendant une demi-heure, le temps de remplir des sacs plastiques
d'os. Je suppose qu'on voulait en faire des cadeaux à nos petites amies
ou aux filles qu'on pourrait brancher au prochain anniversaire de Twiggy.
Twiggy, qui était encore bourré, voulait emporter quelques pierres
tombales, ce que je n'approuvais pas.
Non pas par respect des morts —
. j'avais déjà perdu tout respect
pour les vivants, alors les
morts... — mais parce qu'elles
étaient trop lourdes à transporter.
On en a quand même
rapporté à l'appartement et on
les a rangées dans le placard à
balais de l'entrée. Ce qui explique
certainement la réaction étrange
de notre femme de ménage le lendemain,
qui non seulement nous a
mystérieusement quittés, mais a laissé son
chapelet à la poignée du placard.
Au cours de la tournée Smells Like Children, Twiggy trimbalait les os
de ville en ville, en clamant bien haut à tous ceux qui le lui demandaient
qu'il s'agissait des restes de Freddy, notre premier batteur, celui que nous
avions brûlé vivant. On a baptisé le sac d'os « Freddy » et il a fini par
brûler une seconde fois à Los Angeles. Une fois de plus, Tony Wiggins
était dans le coup.
Quand on se faisait plaisir, c'était en général en hommage à Wiggins
qui nous avait montré que les limites n'existaient pas. Et c'est ainsi que,
lorsque nous étions en miettes et au bout du rouleau, on l'appelait, et tel
un esprit frappeur sybarite il sautait dans un avion pour nous rejoindre.
La tournée tirait à sa fin lorsqu'il s'est matérialisé backstage avant un
concert au Palace de Los Angeles. Il était saoul, énervé, sûrement à cause
du speed. Pour prouver qu'il était capable d'être bourreau aussi bien que
victime, il a insisté pour que je le taillade. Comme je n'avais jamais fait
de scarification sur un autre corps que le mien, j'ai accepté et je lui ai fait
un tatouage temporaire en forme d'étoile. Il a passé tout le show sur le
côté de la scène, à saigner et à essayer de nous faire boire du whisky à
chaque fois que nous passions à côté de lui. C'était le genre de comportement
que nous attendions de lui.
Ensuite, on s'est rendus à une fête dans la chambre d'hôtel de Wiggins
sur Sunset Boulevard. Le siège des toilettes était entièrement recouvert
de cocaïne et la chambre remplie de prétentieux de L.A.
On est tombés à court de bière, ce qui a entraîné une expédition sans
succès de la part de Wiggins chez Ralphs, le supermarché voisin, où il a
proposé à plusieurs reprises 500 dollars aux flics pour qu'ils achètent de
la bière à sa place. En rentrant à l'hôtel, il a fait don de l'argent à Twiggy
et tout est allé mieux jusqu'à ce qu'on manque de dope. Avec Twiggy, la