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Ma seule consolation a été l'erreur malencontreusement commise au<br />

moment du pressage du disque : plusieurs milliers d'exemplaires ont été<br />

fabriqués d'après notre première version de l'album, alors qu'ils pensaient<br />

travailler sur la nouvelle. La maison de disques a envoyé des copies<br />

aux stations de radio et aux journalistes sans même avoir écouté le disque.<br />

Ils n'ont réalisé leur erreur que plus tard. On peut aujourd'hui trouver<br />

cette version sur Internet. Bien que certaines personnes au sein du label<br />

m'aient accusé d'avoir monté le coup, j'aimerais bien en être l'auteur. Les<br />

voies du Seigneur, même si je n'en tiens pas compte, sont impénétrables.<br />

Un autre miracle s'est produit : certes on nous a obligés à retirer les<br />

bandes live de la tournée, mais les avocats ayant donné leur accord, on<br />

a pu y mettre les enregistrements réalisés par Tony Wiggins. L'un des instants<br />

les plus étonnants et les plus amusants du disque est la version acoustique<br />

de Cake and Sodomy. Puisque la chanson critique les inepties<br />

blanches et chrétiennes du Sud, on s'est immédiatement dit qu'il fallait<br />

remixer avec Wiggins pianotant et fredonnant une version plouc.<br />

Au cours de notre séjour à La Nouvelle-Orléans, on a passé un seul<br />

bon moment. Et il faut en remercier Tony Wiggins.<br />

La drogue coulait à flots, au point qu'on en avait marre de seulement<br />

se droguer. Pour s'amuser, il nous fallait ajouter d'autres jeux, rituels et<br />

mises en scène autour de la drogue. Pour l'anniversaire de Twiggy, un<br />

barman à l'air un peu débile et à la tête de boxeur qui travaillait dans un<br />

bouge du Quartier français est venu avec un copain musicien qui n'avait<br />

qu'un bras et jouait de la contrebasse en faisant claquer les cordes avec<br />

son crochet. Comme sa principale source de revenus provenait de la<br />

revente de drogue, il avait dans ses poches plusieurs doses de cocaïne.<br />

Mais nous ne voulions pas uniquement de la drogue. Nous avions besoin<br />

d'un mélange de drogues, de rites et de situations que seul Wiggins était<br />

capable d'organiser.<br />

Avec Twiggy, on a fait une esquisse de Wiggins au crayon à papier et<br />

au crayon de couleur rouge, en train de mourir comme le Christ sur la<br />

croix, de présider la Cène, avec au menu des asticots et du sang, et de<br />

descendre sur terre sous l'apparence de l'Ange de la Mort. Sur un plateau<br />

posé par terre, on a disposé des lignes de cocaïne à côté de bouteilles<br />

de Jagermeister et de poulet en croûte (histoire de symboliser la mort fictive<br />

du poulet et notre batteur en train de prendre feu sur scène). Derrière<br />

tout ça, on a installé une poupée cabossée d'Huggy les Bons Tuyaux,<br />

l'indic dans Starsky et Hutch, à laquelle il manquait une jambe. C'était<br />

dans la cavité de cette chose en plastique que nous avions pris l'habitude<br />

de planquer la dope au cours de la tournée avec Tony Wiggins. À chaque<br />

fois que nous tapions dedans, on se passait un code qui était « aller danser<br />

avec l'indic unijambiste ». Le soir de l'anniversaire de Twiggy, nous<br />

avions sorti nos carnets de bal, prêts à être poinçonnés. À part une perruque<br />

blonde, un masque de coq avec des yeux clignotants et une couronne<br />

en papier crépon rouge, j'étais nu. Twiggy portait une robe en tissu<br />

écossais bleu qui ressemblait à une nappe de cuisine, des collants marron,<br />

une perruque auburn et un chapeau de cow-boy. Il ressemblait au<br />

zombie d'une souillon du Texas.<br />

On a appelé Wiggins sur son portable et, dès qu'il a décroché, on a<br />

communié à notre façon, ce qui consistait à essayer de transsubstantier le<br />

corps et le sang de Tony Wiggins en notre repas de substances toxiques.<br />

On s'est fait une ligne, puis on a léché la tête d'Huggy les Bons Tuyaux<br />

qu'on a plongée dans le reste de coke pour s'en tartiner les gencives. Et<br />

on s'est envoyé une rasade de Jagermeister tout en se calant une tranche<br />

de poulet entre les dents. Avec Twiggy, ça nous a pris quarante-cinq secondes<br />

pour accomplir ce rite sacré. Wiggins nous a immédiatement reconnus.<br />

Comme si j'avais croqué dans le fruit de la connaissance, j'ai tout à<br />

coup réalisé qu'il fallait que je recouvre mon intimité. J'ai donc pris le<br />

tube cartonné d'un rouleau de papier toilette que j'ai scotché autour de<br />

ma bite. Pour que ça ressemble à un suspensoir bricolé,, en titubant, j'ai<br />

arraché la télé du mur pour en attacher le câble autour de ma taille afin<br />

de m'en faire une ceinture. Ensuite, on a essayé en vain de convaincre<br />

Pogo de se déguiser ou de faire quelque chose pour nous faire rire. Pendant<br />

une heure, on a regardé une vieille sorcière bourrée, aux jambes<br />

recouvertes de croûtes, à genoux sur le visage de Pogo, les bas descendus<br />

sur ses genoux, essayant anxieusement et lentement d'uriner dans sa<br />

bouche avide. Ensuite, on a mis Pogo au défi de se taillader le poignet<br />

avec un couteau — ce qu'il a fait à plusieurs reprises — avant de s'enduire<br />

les parties de baume du tigre et de se masturber — ce qu'il a également<br />

fait — mais sans provoquer la moindre excitation ni chez lui ni<br />

chez nous.<br />

Nuit typique : on avait pris trop de drogues et commencé à péter les<br />

plombs avec une énergie fébrile bien après le lever du jour. Twiggy a<br />

attrapé sa guitare acoustique et mis le magnétophone sur vitesse rapide,<br />

ce qui a donné un résultat comparable à des versions tordues des chansons<br />

des Chipmunks. Comme ce n'est pas très drôle de jouer sans public<br />

(et pas drôle du tout si on n'est pas complètement défoncé), toujours<br />

habillés avec nos vêtements bricolés, on a déboulé dans les rues en hurlant<br />

pour finir par trébucher sur un S.D.F. qui dormait sur le trottoir.<br />

« Hey mec, qu'est-c'que tu branles ? » lui a demandé Twiggy pour être

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