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capables de jouer avec ce type. Il ne comprend pas du tout dans quelle<br />

direction nous allons.<br />

- C'est l'épine dorsale de Marilyn Manson. » Trent était enthousiaste.<br />

« Marilyn Manson est connu pour ses guitares. »<br />

John Malm, notre manager et directeur du label, l'approuvait. Une<br />

vague de frustration m'a envahi. Je me pinçais, je croyais rêver.<br />

« J'ai lu des centaines d'articles, et personne n'a jamais mentionné les<br />

guitares. » J'avais les boules. « C'est vrai, personne non plus n'a parlé<br />

des chansons. Je veux écrire de bonnes chansons dont les gens parleront.<br />

»<br />

Je leur ai proposé de leur montrer les paroles, de resserrer les chansons,<br />

d'y ajouter des lignes mélodiques, mais personne ne croyait à ce<br />

projet. Par contre, ils voulaient tous que nous continuions la promo de<br />

Portrait ofan American Family. En fait, je n'avais toujours pas confiance<br />

en moi et j'étais mon pire ennemi, parce que j'étais trop naïf. Ne connaissant<br />

pas les ficelles du métier, je croyais tout ce que disaient les publicitaires,<br />

les avocats et les directeurs de label. Je suivais leur instinct plutôt<br />

que le mien, alors j'en oubliais les chansons que j'avais écrites et, pour<br />

la première fois de ma vie mais sûrement la dernière, j'ai fait des concessions.<br />

On a commencé à travailler sur un single de remixes, de reprises<br />

et d'expérimentations en tout genre, afin de résumer ce que nous étions<br />

à l'époque, c'est-à-dire ténèbres, chaos et drogue.<br />

Les défauts qui me sautaient aux yeux dans Portrait n'étaient rien en<br />

comparaison du désastre qu'était ce single. C'était comme quand, après<br />

avoir cousu un costume compliqué pour une fête, en sortant de la maison,<br />

on accroche l'ourlet à un clou : il ne reste plus qu'à regarder le costume<br />

s'effilocher et tomber en morceaux. En l'occurrence, le clou s'appelait<br />

Time Warner, la compagnie mère d'Interscope/Nothing.<br />

L'album qu'on a enregistré pour ce label commençait par une des pires<br />

bandes que j'aie jamais enregistrées. Évidemment, Tony Wiggins était<br />

dans le coup. Grâce à une fille qu'il avait ramassée backstage au cours<br />

de la tournée avec Danzig. Elle l'avait supplié de l'humilier et d'abuser<br />

d'elle. Wiggins avait commencé, pour plaisanter, par lui couper les poils<br />

du pubis en la fouettant avec délicatesse, et, plus menaçant, il lui avait<br />

passé une chaîne autour du cou. Mais elle en voulait toujours plus : elle<br />

a fini par hurler que sa vie ne valait rien et l'a supplié de la tuer sur place.<br />

La bande montrait Wiggins emmerdé d'avoir poussé le bouchon trop<br />

loin. « T'es sûre que ça va ? » lui demandait-il tandis qu'elle n'arrêtait<br />

pas de crier de douleur et de plaisir, on ne faisait plus la différence.<br />

« Tu sais bien que je ne vais pas te tuer, lui disait-il en essayant de la<br />

calmer.<br />

- Je m'en tape, lui répondait-elle. C'est si bon. »<br />

C'était la première fois que je voyais Wiggins se retenir.<br />

Sur l'album, au moment où elle commence à dire que vivre ne l'intéresse<br />

pas et supplie d'en finir, il y a un bruit cataclysmique suivi d'une<br />

ligne de basse introduisant Diary of a Dope Fiend. C'était l'ouverture<br />

idéale pour un album sur les abus en tous genres : sexe ou drogue, domestiques<br />

ou mentaux. Au milieu de l'album, on a introduit une autre des<br />

confessions que nous avions enregistrées, celle d'une fille qui avait martyrisé<br />

son petit cousin âgé de sept ans. Ça mettait en valeur le fil conducteur<br />

du disque : la cible la plus facile pour les abus est l'innocence. J'ai<br />

toujours aimé le syndrome de Peter Pan qui reste un enfant dans un corps<br />

d'adulte, et Smells Like Children était supposé être un disque pour enfants<br />

adressé à ceux qui n'en sont plus, des gens comme moi qui veulent retrouver<br />

leur innocence maintenant qu'ils sont suffisamment corrompus pour<br />

apprécier cette innocence. Nous étant récemment fait avoir par Frankie,<br />

notre organisateur de tournée, que nous venions de virer pour avoir piqué<br />

dans la caisse 20 000 dollars en notes de frais qu'il était incapable de justifier,<br />

nous avons enregistré une chanson intitulée Fuck Frankie.<br />

Le tout tenait debout grâce à des dialogues extraits de Willy Wonka<br />

and the Chocolaté Factory qui, sortis de leur contexte, étaient porteurs<br />

de connotations sexuelles. L'axe central du disque était la reprise de Sweet<br />

Dreams d'Eurythmics, que nous jouions déjà sur scène. En une seule<br />

phrase, la chanson résumait parfaitement non seulement l'album, mais<br />

la mentalité de tous ceux que j'avais croisés depuis que j'avais monté le<br />

groupe : « Certains d'entre eux veulent vous maltraiter/Certains d'entre<br />

eux veulent être maltraités. » Notre label fait partie de la première catégorie.<br />

Ils nous ont fait enlever les samples extraits de Willy Wonka and<br />

the Chocolaté Factory en prétendant que nous n'aurions jamais l'autorisation<br />

d'utiliser ce texte et — si j'avais retenu la leçon — que, de plus,<br />

nous avions besoin de l'autorisation écrite des personnes enregistrées par<br />

Tony Wiggins. La plupart des labels auraient réagi de la même façon, ce<br />

qui prouve bien que, par essence, l'art et la culture sont incompatibles.<br />

Enfin, sans nous avertir, Nothing a pris une décision qui allait à l'encontre<br />

de n'importe quel instinct commercial. Ils ne voulaient pas sortir<br />

Sweet Dreams en single, alors que je savais que même ceux qui n'aimaient<br />

pas le groupe aimeraient ce titre. Le label préférait sortir notre version<br />

de I Put a Spell on You de Screamin'Jay Hawkins, morceau beaucoup<br />

trop sombre et ésotérique même pour certains de nos fans. Là, on s'est<br />

battus avec le label et c'est comme ça qu'on a appris qu'on pouvait gagner.<br />

J'ai aussi appris à me fier à mon instinct. Cette expérience a été démoralisante<br />

mais m'a moins atteint que le fait que personne au sein du label<br />

ne nous ait jamais félicités pour le succès de la chanson. Ce disque très<br />

bordélique a fini par créer le bordel uniquement dans ma tête.

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