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après un show à Boston. J'étais dans la loge en train de boire du Jack<br />

Daniel's avec le reste du groupe, lorsque Wiggins m'a fait signe par l'entrebâillement<br />

de la porte.<br />

« Il y a quelqu'un qui veut te dire quelque chose », a-t-il murmuré<br />

sournoisement.<br />

Il m'a emmené dans une pièce à l'écart dans laquelle m'attendait une<br />

fille en slip blanc, soutien-gorge blanc et chaussettes roses, attachée et<br />

ficelée dans le « suce-péché » de Wiggins. Elle aurait pu être séduisante,<br />

mais tout son corps, particulièrement sa nuque et l'arrière de ses jambes,<br />

était recouvert de taches rouges d'où émergeaient des îlots blanchâtres.<br />

Ce n'était pas très agréable à regarder, et avant qu'elle ait prononcé le<br />

moindre mot j'avais déjà pitié d'elle. En dépit de moi, j'étais encore plus<br />

bouleversé parce qu'elle ressemblait à la Belle qui aurait été molestée par<br />

la Bête. Et une beauté défigurée peut très bien être bandante. Encore plus<br />

étrange, elle me rappelait quelqu'un, comme si je l'avais déjà rencontrée.<br />

« Qu'est-ce qui t'est arrivé ? » » C'était à moi de poser les questions.<br />

« J'ai une maladie de peau. Mais ce n'est pas contagieux.<br />

- C'est ça que tu veux confesser ?<br />

- Non, a-t-elle dit en essayant de prendre<br />

des forces pour s'exprimer. Ma confession<br />

a un rapport avec toi.<br />

- Les fantasmes ne comptent pas.<br />

- Non. Je t'ai rencontré il y a un an.<br />

Tu tournais avec Nine Inch Nails. »<br />

Elle s'est arrêtée pour se débattre<br />

avec ses liens. Elle était chétive et<br />

faible.<br />

« Continue. » Je savais que si j'avais<br />

commis des actes inavouables avec elle,<br />

je n'aurais pas oublié ses taches.<br />

« J'étais backstage et tu m'as dit salut. C'est<br />

moi qui suis rentrée avec Trent ce soir-là.<br />

TONY WIGGINS _ Ouais, je m'en souviens. » Et c'était vrai.<br />

« En fait, à cette époque, je sortais avec quelqu'un<br />

et il était en colère contre moi parce que je voulais aller backstage<br />

et passer la nuit avec Trent. Ce que j'ai fait.<br />

- Et il t'a larguée ?<br />

- Oui. Mais... c'est pas ce que... ce que j'essaie de dire. Le lendemain,<br />

j'ai commencé à avoir mal au ventre, de vraies douleurs. Je suis allée chez<br />

le médecin qui m'a annoncé que j'étais enceinte de plusieurs mois. Mais »,<br />

elle a fondu en larmes, « que je n'aurais jamais ce bébé. J'ai fait une fausse<br />

couche parce que j'avais baisé. »<br />

Je ne sais pas si je croyais ce qu'elle disait, mais, elle, semblait y croire.<br />

Le dernier mot, « baisé », avait jailli de sa bouche comme une fléchette<br />

de sarbacane. Elle était tellement bouleversée par ce souvenir qu'elle avait<br />

relâché la tension de ses mains et ses jambes, ce qui avait permis au<br />

bidouillage de Wiggins de se resserrer autour de son cou. Elle a perdu<br />

connaissance et sa tête est allée heurter le sol. Encore sous le choc de sa<br />

confession, complètement ahuri, je me suis baissé et j'ai commencé à me<br />

débattre avec les nœuds et la corde, incapable d'empêcher son visage de<br />

passer du rouge au violet. Wiggins a sorti de sa poche un couteau de l'armée<br />

et a coupé la corde qui lui serrait le cou, relâchant ainsi la pression.<br />

Mais elle ne se réveillait toujours pas. On lui a donné des claques, on lui<br />

a crié dessus, on lui a balancé de l'eau : rien n'y faisait. On était mal barrés.<br />

Je ne voulais pas être le premier rock-and-roller à avoir tué une fille<br />

backstage pour cause d'hédonisme.<br />

Au bout de trois minutes, elle s'est mise à grogner et à cligner des yeux.<br />

C'est sans doute la dernière fois qu'elle a eu envie de passer backstage.<br />

MAUVAIS TRAITEMENTS : REÇUS<br />

Lorsque, après la tournée, on est revenus à La Nouvelle-Orléans pour<br />

enregistrer, on s'est dit que la vie allait redevenir normale. Mais tout<br />

comme Wiggins nous avait montré la signification du mot indulgence,<br />

un mot que nous pensions jusqu'à présent connaître, La Nouvelle-Orléans<br />

nous a appris les mots haine, dépression et frustration. Les gens aiment<br />

penser que la haine et la misanthropie sont des remparts contre le monde.<br />

Pour ma part, ils ne viennent pas de ma dureté, mais du vide, du fait que<br />

je me vidais de mon humanité tout comme mon sang s'échappait des blessures<br />

que je m'étais infligées. Afin de ne rien ressentir — ni plaisir ni douleur<br />

— j'étais à la recherche d'expériences plus normales, plus humaines.<br />

La Nouvelle-Orléans, qui ne prêtait à sourire que par son aspect dépressif,<br />

allait se révéler le pire des endroits pour partir à la recherche du sens<br />

et de l'humanité. C'était comme essayer de trouver de la chaleur dans les<br />

bras d'une pute. Si tourner avait épuisé ce qu'il me restait de morale, La<br />

Nouvelle-Orléans, elle, a dévoré mon âme.<br />

Plus vous passez de temps à La Nouvelle-Orléans, plus vous devenez<br />

répugnant. Et les gens que nous fréquentions là-bas étaient parmi les plus<br />

répugnants : des dealers, des invalides et des ordures. Dans cette ville, les<br />

seuls gens intéressants étaient ceux qui se rendaient à l'aéroport et ceux<br />

qui en arrivaient. Les seules planches que nous foulions étaient des bouges<br />

comme The Vault, un bar gothique-industriel de la taille d'une chambre<br />

d'hôtel. Le sol était recouvert d'un dépôt visqueux fait d'urine congelée,<br />

de bière et de condensation due au climat humide et fétide de la ville. Les

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