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je l'ai découvert plus tard — de films pornos en 16 mm. Et pour couronner<br />

le tout, une petite fenêtre carrée qui ressemblait à un vitrail, mais<br />

qui était en fait grise de crasse. Regarder au travers revenait à essayer de<br />

percer la noirceur de l'enfer.<br />

Ce qui m'intriguait le plus dans cette cave, c'était l'établi. Vieillot et<br />

grossier, il donnait l'impression d'avoir été fabriqué des siècles auparavant.<br />

Il était recouvert d'une sorte de moquette en peluche orange foncée,<br />

un peu comme les cheveux des poupées Raggedy Ann, à la différence<br />

près que la moquette, elle, avait été souillée au fil des années par les nombreux<br />

outils qui avaient été posés dessus. Sous l'établi se trouvait un tiroir<br />

de guingois, mais toujours fermé à clé. Sur des chevrons au-dessus de<br />

l'établi, on avait accroché un miroir bon marché fait pour se voir en pied :<br />

le genre d'objet avec un cadre en bois que l'on fixe généralement derrière<br />

une porte. Mais, pour une raison qui m'échappait, il était cloué au plafond<br />

: à moi d'imaginer pourquoi. C'est donc là qu'avec mon cousin<br />

Chad, nous avons commencé à nous immiscer jour après jour plus hardiment<br />

dans l'intimité de mon grand-père.<br />

J'avais treize ans, des taches de rousseur, j'étais maigre et j'arborais<br />

une coupe au bol, œuvre des ciseaux de ma mère. Aussi efflanqué que<br />

moi, Chad avait douze ans, des taches de rousseur et des dents de lapin.<br />

Nous rêvions de devenir flics, espions ou détectives privés lorsque nous<br />

serions grands. C'est en essayant de développer en cachette les talents qui<br />

nous seraient nécessaires, que nous nous sommes retrouvés exposés à<br />

toute cette iniquité.<br />

Au départ, nous voulions simplement nous glisser en bas afin d'espionner<br />

Grand-père sans qu'il s'en rende compte. Mais lorsque nous<br />

avons peu à peu découvert ce qui se cachait dans cette cave, notre optique<br />

changea du tout au tout. Nos incursions dans la cave, dès que nous rentrions<br />

de l'école, étaient motivées à la fois par l'envie de deux pré-ados<br />

de se branler devant des photos pornos et par la fascination morbide<br />

qu'exerçait sur nous notre grand-père.<br />

Presque tous les jours, nous faisions des découvertes plus choquantes<br />

les unes que les autres. Je n'étais pas très grand, mais si je me mettais prudemment<br />

en équilibre sur la vieille chaise en bois de Grand-père, j'arrivais<br />

à atteindre l'espace entre le miroir et le plafond. C'est là que j'ai<br />

découvert une pile de photos zoophiles en noir et blanc. Elles ne provenaient<br />

pas d'un magazine, c'étaient simplement des photos numérotées,<br />

qui semblaient avoir été sélectionnées dans un catalogue de vente par correspondance.<br />

Elles dataient du début des années soixante-dix et montraient<br />

des femmes enfourchant la bite géante de chevaux, suçant un<br />

cochon dont la bite ressemblait d'ailleurs à un tire-bouchon doux et<br />

charnu. J'avais déjà vu Play boy et Penthouse, mais ces photos-là appar-<br />

tenaient à une autre catégorie. Ce n'étaient pas tant leur obscénité que<br />

leur caractère irréel : toutes ces femmes arboraient un sourire innocent<br />

de jeunes hippies tandis qu'elles suçaient et montaient ces animaux !...<br />

Il y avait également des magazines fétichistes planqués derrière le<br />

miroir, tel Watersports et Black Beauty. Plutôt que de piquer les numéros<br />

entiers, nous préférions découper soigneusement les pages qui nous<br />

intéressaient avec une lame de rasoir. Puis nous pliions les pages en petits<br />

carrés pour les cacher sous les gros galets blancs qui encadraient l'allée<br />

en gravier menant chez ma grand-mère. Des années plus tard, quand nous<br />

sommes revenus les chercher, elles étaient toujours là, usées, abîmées et<br />

recouvertes de vers de terre et de limaces.<br />

Un après-midi d'automne, Chad et moi étions assis autour de la table<br />

de la salle à manger de ma grand-mère. La journée avait été particulièrement<br />

morne à l'école et nous avions décidé de découvrir ce que pouvait<br />

cacher le tiroir sous l'établi. Toujours déterminée à gaver sa progéniture,<br />

ma grand-mère Béatrice nous forçait à avaler des pains de viande<br />

et du Jell-O, gelée composée principalement d'eau. Elle était issue d'une<br />

famille riche et avait énormément d'argent en banque, mais elle était tellement<br />

radine qu'un seul paquet de gelée pouvait durer des mois. Elle<br />

portait des bas à mi-genoux qu'elle roulait en boule sur ses chevilles et<br />

de curieuses perruques grises qui, à l'évidence, étaient trop grandes. Les<br />

gens ont toujours trouvé que j'avais hérité de sa maigreur, mais aussi de<br />

son visage en lame de couteau.<br />

Dans la cuisine, rien n'a jamais changé tout ce temps où j'ai avalé ses<br />

immangeables repas. Au-dessus de la table était accrochée une photo jaunissante<br />

du pape, enchâssée dans un cadre en laiton bon marché. Un<br />

imposant arbre généalogique familial était placardé sur le mur voisin :<br />

on pouvait y suivre toute la lignée des Warner depuis la Pologne et l'Allemagne,<br />

à l'époque où ils s'appelaient les Wanamaker. Enfin, surplombant<br />

le tout, un imposant crucifix en bois creux, avec un Jésus en or enveloppé<br />

dans une feuille de palmier desséchée, avec, tout en haut, un petit<br />

tiroir escamotable renfermant un cierge ainsi qu'une fiole d'eau bénite.<br />

Sous la table de la cuisine, il y avait une bouche d'aération donnant<br />

directement sur l'établi de la cave. Au travers, nous pouvions entendre<br />

mon grand-père cracher ses poumons au sous-sol. Il branchait sa CB sans<br />

jamais parler dedans. Il se contentait d'écouter. Quand j'étais petit, il avait<br />

été hospitalisé pour un cancer de la gorge, et du plus loin que je m'en<br />

souvienne je n'ai jamais entendu sa vraie voix : je n'ai connu que le sifflement<br />

irrégulier qu'il sortait péniblement de sa trachéo.<br />

Nous attendions qu'il quitte la cave, laissions notre viande sur la table,<br />

versions le Jell-O dans le conduit du chauffage, puis nous partions en<br />

exploration au sous-sol, poursuivis par la voix de notre grand-mère qui

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