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visage légèrement parsemé de taches de rousseur et un bleu décoloré sur<br />
la joue, était à côté d'elle et tournait nerveusement une cigarette éteinte<br />
entre ses doigts. Une odeur de crème à raser emplissait l'atmosphère : à<br />
force de cajoleries, ils avaient convaincu la fille de se raser et de faire<br />
d'autres choses inavouables. C'était le genre d'exploitation que Wiggins<br />
et moi essayions d'éviter.<br />
Dès qu'ils m'ont vu, la fille et le garçon sont tombés à genoux. Elle<br />
hurlait : « Les dieux ont entendu nos prières. »<br />
Lui, plus simple : « Je voulais juste te rencontrer. C'est pour ça que<br />
nous sommes ici. » Alors, tout naturellement, Wiggins et moi, nous leur<br />
avons demandé s'ils avaient des choses à confesser, en dehors des atrocités<br />
auxquelles la fille venait de participer avec nos roadies. La fille a<br />
immédiatement jeté un regard au garçon qui, honteux ou plein de tristesse,<br />
a baissé la tête. On venait de tomber sur la personne idéale pour<br />
tester la nouvelle invention de Tony.<br />
Wiggins a demandé au type si cela ne le dérangeait pas d'être ficelé et<br />
ligoté, puis il l'a emmené derrière, dans les loges, car il lui fallait quelques<br />
minutes pour le préparer. Lorsque je suis entré, il était pieds et poings<br />
liés, les mains dans le dos, dans un appareil qui l'obligeait à maintenir<br />
ses jambes à quatre-vingt-dix degrés. Le mécanisme était prévu pour des<br />
femmes et c'était d'autant plus troublant de voir un type nu étendu de<br />
cette façon. S'il bougeait ne serait-ce que très légèrement de cette position<br />
acrobatique, la corde autour de son cou se resserrait et l'étouffait.<br />
Pour éviter de s'étrangler, il fallait absolument qu'il reste dans cette position<br />
difficile et délicate. Une caméra à la main, Tony se tenait au-dessus<br />
de lui, filmant cette strangulation sous tous les angles.<br />
« T'as quelque chose à confesser ? » Wiggins parlait avec un élégant<br />
accent du Sud sous lequel se cachait comme une sorte de menace. Derrière<br />
la porte, le Master of Puppets de Metallica servait de bande-son à<br />
cette confession bidon.<br />
Il hésitait et essayait de se tortiller pour se mettre dans une position<br />
plus confortable, ce qui était totalement impossible. De sa main libre,<br />
Tony lui a relevé le menton en direction de la caméra et il a commencé à<br />
parler.<br />
« Ça fait à peu près deux ans que ma sœur et moi, on s'est barrés de<br />
la maison. Afin de... » Il parlait de manière hachée à cause des cordes<br />
qui l'étranglaient.<br />
« C'est ta sœur qui est derrière la porte ? » lui a demandé Wiggins. Il<br />
ne laissait jamais les choses dans le flou.<br />
« Non. C'est juste une copine. On fait la manche ensemble.<br />
- Pourquoi tu t'es barré ?<br />
- Maltraités. On était maltraités. Surtout par notre beau-père. Et puis<br />
on avait besoin de fric pour les tickets. Pour aller au concert. Et puis pour<br />
d'autres trucs. On a fait du stop pour se rendre sur une sorte de parking<br />
pour routiers. Je voulais la vendre. Vendre son corps.<br />
- Elle était habillée comment ? » Wiggins, curieux comme une fouine,<br />
voulait savoir.<br />
« Des chaussures à talons qu'on avait trouvées. Un bustier. Un jean.<br />
Du maquillage volé. Mais c'était pas pour baiser. Juste des pipes.<br />
- C'était la première fois que tu jouais au maquereau ?<br />
- En quelque sorte.<br />
- Oui ou non ? » Wiggins était un maître.<br />
« Pour du fric, ouais.<br />
- Et puis, qu'est-ce qui s'est passé ?<br />
- Ce routier. » Le môme s'est mis à pleurer et, par l'action combinée<br />
de l'émotion et des cordes lui serrant le cou, il est devenu cramoisi. Il a fléchi<br />
ses cuisses couvertes de taches de rousseur pour éviter de s'étouffer.<br />
« Ce camionneur, il l'a emmenée à l'intérieur de son camion. Et j'ai<br />
entendu ma sœur hurler, alors j'ai grimpé. Jusqu'à la glace. Mais avant<br />
que je puisse... » Il a eu des haut-le-cœur pendant un moment avant de<br />
retrouver son équilibre.<br />
« Il m'a frappé, frappé. Et... » Il pleurait, ses jambes tremblaient. « Et<br />
je sais pas où elle est...<br />
- Tu veux dire qu'il l'a embarquée ? »<br />
Wiggins a posé la question sans y croire. Il ne faisait plus attention à<br />
la caméra. Je ne l'avais jamais vu s'étonner de quoi que ce soit et ça n'est<br />
plus jamais arrivé depuis. On savait très bien que cela dépassait nos espé^<br />
rances et que le môme n'allait pas résister très longtemps aux cordes.<br />
Puis dehors, la musique s'est arrêtée d'un seul coup pour laisser place<br />
à des voix aboyant des ordres. J'ai entrouvert la porte pour espionner ce<br />
qui se passait dans la loge, où deux flics fouillaient nos trousses à<br />
maquillage et contrôlaient le permis de conduire des filles qui étaient là.<br />
J'ai refermé la porte, tourné la clé et jeté un regard affolé autour de moi.<br />
Mes poches étaient bourrées de drogues, un fugueur à poil était attaché<br />
dans un appareil de torture et tout était enregistré sur vidéo. On s'est<br />
empressés de le détacher et il a roulé sur le côté en se mettant en position<br />
fœtale. Pendant qu'il reprenait sa respiration et ses esprits, on l'a aidé<br />
tant bien que mal à rapidement enfiler ses vêtements. J'écoutais à la porte.<br />
Les gens riaient à nouveau, signe que les flics étaient repartis. Par le plus<br />
grand des hasards, ils ne connaissaient pas l'existence de cette pièce cachée.<br />
Ils recherchaient la fille d'un politicien local. Le môme voulait qu'on<br />
l'aide, mais, comme les flics étaient encore dans la boîte, on a poussé<br />
notre nouvel ami à aller les trouver pour leur raconter son histoire qui<br />
me hante encore aujourd'hui.