séquence 3 : candide ou l'optimisme
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SÉQUENCE 3 :<br />
CANDIDE OU L’OPTIMISME, DE VOLTAIRE<br />
Support : Candide de Voltaire (1759), en œuvre intégrale.<br />
Objet d’étude : L’argumentation. Convaincre, persuader, délibérer.<br />
Problématique : Comment Voltaire met-il le conte philosophique au service d’un critique de la société de<br />
son époque et d’une réflexion philosophique sur la question du Mal, de l’optimisme et de la recherche du<br />
bonheur ?<br />
Lectures analytiques<br />
o Chapitre premier : l’incipit du conte.<br />
De « il y avait en Westphalie » à « t<strong>ou</strong>t fut consterné dans le plus beau et le plus agréable des châteaux<br />
possibles » (chapitre complet)<br />
o Chapitre 3 : la guerre.<br />
De « rien n’était si beau, si leste, si brillant » à « et des héros abares l’avaient traité de même. »<br />
o Chapitre 18 : l’utopie d’Eldorado.<br />
De « Cacambo témoigna à son hôte t<strong>ou</strong>te sa curiosité » à « une galerie de deux mille pas, t<strong>ou</strong>te pleine<br />
d’instruments de mathématiques et de physique »<br />
o Chapitre 30 : l’explicit du conte.<br />
De « Candide, en ret<strong>ou</strong>rnant à sa métairie fit de profondes réflexions » à « cela est bien dit, répondit<br />
Candide, mais il faut cultiver notre jardin. »<br />
Documents complémentaires<br />
Texte complémentaire p<strong>ou</strong>r le chapitre 3 de Candide :<br />
Article « guerre » de Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, 1764.<br />
De « le merveilleux de cette entreprise infernale » à « le t<strong>ou</strong>t, p<strong>ou</strong>r les prétendus intérêt d’un homme que n<strong>ou</strong>s<br />
ne connaissons pas ? »<br />
Corpus sur les utopies :<br />
Quelles sont les valeurs mises en avant dans les différentes utopies présentées dans ce corpus ?<br />
- Platon, Critias<br />
-Thomas More, Utopie, 1516.<br />
- François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, 1534.<br />
- Cyrano de Bergerac, Les Etats et Empires de la Lune, 1657.<br />
Lecture cursive<br />
AU CHOIX :<br />
Georges ORWELL, La Ferme des animaux.<br />
Ald<strong>ou</strong>s HUXLEY, Le Meilleur des Mondes.
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Lecture analytique numéro 1 : l’incipit de Candide.<br />
Chapitre premier :<br />
COMMENT CANDIDE FUT ÉLEVÉ DANS UN BEAU CHÂTEAU, ET COMMENT IL FUT CHASSÉ D'ICELUI 1<br />
Il y avait en Vestphalie 2 , dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à<br />
qui la nature avait donné les mœurs les plus d<strong>ou</strong>ces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le<br />
jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple ; c'est, je crois, p<strong>ou</strong>r cette raison qu'on le nommait<br />
Candide. Les anciens domestiques de la maison s<strong>ou</strong>pçonnaient qu'il était fils de la sœur de monsieur le<br />
baron et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne v<strong>ou</strong>lut jamais ép<strong>ou</strong>ser<br />
parce qu'il n'avait pu pr<strong>ou</strong>ver que soixante et onze quartiers 3 , et que le reste de son arbre généalogique avait<br />
été perdu par l'injure du temps.<br />
Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Vestphalie, car son château avait une porte<br />
et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d'une tapisserie. T<strong>ou</strong>s les chiens de ses basses-c<strong>ou</strong>rs<br />
composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs 4 ; le vicaire 5 du village était<br />
son grand aumônier 6 . Ils l'appelaient t<strong>ou</strong>s monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes.<br />
Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres 7 , s'attirait par là une très grande<br />
considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable.<br />
Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en c<strong>ou</strong>leur, fraîche, grasse, appétissante. Le fils du<br />
baron paraissait en t<strong>ou</strong>t digne de son père. Le précepteur Pangloss était l'oracle 8 de la maison, et le petit<br />
Candide éc<strong>ou</strong>tait ses leçons avec t<strong>ou</strong>te la bonne foi de son âge et de son caractère.<br />
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie 9 . Il pr<strong>ou</strong>vait admirablement qu'il n'y a<br />
point d'effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron<br />
était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.<br />
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, t<strong>ou</strong>t étant fait p<strong>ou</strong>r une fin,<br />
t<strong>ou</strong>t est nécessairement p<strong>ou</strong>r la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits p<strong>ou</strong>r porter des<br />
lunettes, aussi avons-n<strong>ou</strong>s des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées p<strong>ou</strong>r être chaussées, et n<strong>ou</strong>s<br />
avons des chausses 10 . Les pierres ont été formées p<strong>ou</strong>r être taillées, et p<strong>ou</strong>r en faire des châteaux, aussi<br />
monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les<br />
cochons étant faits p<strong>ou</strong>r être mangés, n<strong>ou</strong>s mangeons du porc t<strong>ou</strong>te l'année : par conséquent, ceux qui ont<br />
avancé que t<strong>ou</strong>t est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que t<strong>ou</strong>t est au mieux. »<br />
Candide éc<strong>ou</strong>tait attentivement, et croyait innocemment ; car il tr<strong>ou</strong>vait Mlle Cunégonde extrêmement<br />
belle, quoiqu'il ne prît jamais la hardiesse de le lui dire. Il concluait qu'après le bonheur d'être né baron de<br />
Thunder-ten-tronckh, le second degré de bonheur était d'être Mlle Cunégonde ; le troisième, de la voir t<strong>ou</strong>s<br />
les j<strong>ou</strong>rs ; et le quatrième, d'entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par<br />
conséquent de t<strong>ou</strong>te la terre.<br />
1<br />
Icelui : celui-ci. pronom démonstratif en ancien français, il n’est plus utilisé au XVIII°<br />
2<br />
Vestphalie = Westphalie (province de l’Allemagne)<br />
3<br />
Soixante et onze quartiers : 71 ascendants dont la noblesse est certaine<br />
4<br />
Piqueurs : cavaliers en charge de la meute lors d’une chasse à c<strong>ou</strong>rre<br />
5<br />
Vicaire : adjoint du curé<br />
6<br />
Prête attaché à la c<strong>ou</strong>r d’un roi <strong>ou</strong> d’un prince<br />
7<br />
Plus de 110 kilos (une livre = 321 g)<br />
8<br />
Personne qui parle avec compétence et dont les propos sont incontestables<br />
9<br />
Mot composé forgépar Voltaire p<strong>ou</strong>r railler les titres pédantesques.<br />
-La métaphysique a p<strong>ou</strong>r objet les domaines échappant à l’expérience concrète (Dieu, l’au-delà, le le Bien, le Mal, etc)<br />
- la théologie est l’étude des questions religieuses<br />
- la cosmologie est la science des lois de l’univers.<br />
l’introduction de “nigo” (homonyme de “nigaud” discrédite d’emblée la science de Pangloss.<br />
10<br />
Chausses : bas
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Un j<strong>ou</strong>r, Cunégonde, en se promenant auprès du château, dans le petit bois qu'on appelait parc, vit entre<br />
des br<strong>ou</strong>ssailles le docteur Pangloss qui donnait une leçon de physique expérimentale à la femme de<br />
chambre 11 de sa mère, petite brune très jolie et très docile. Comme Mlle Cunégonde avait beauc<strong>ou</strong>p de<br />
dispositions p<strong>ou</strong>r les sciences, elle observa, sans s<strong>ou</strong>ffler 12 , les expériences réitérées 13 dont elle fut témoin ;<br />
elle vit clairement la raison suffisante 14 du docteur, les effets et les causes, et s'en ret<strong>ou</strong>rna t<strong>ou</strong>t agitée, t<strong>ou</strong>te<br />
pensive, t<strong>ou</strong>te remplie du désir d'être savante, songeant qu'elle p<strong>ou</strong>rrait bien être la raison suffisante du<br />
jeune Candide, qui p<strong>ou</strong>vait aussi être la sienne.<br />
Elle rencontra Candide en revenant au château, et r<strong>ou</strong>git ; Candide r<strong>ou</strong>git aussi ; elle lui dit bonj<strong>ou</strong>r<br />
d'une voix entrec<strong>ou</strong>pée, et Candide lui parla sans savoir ce qu'il disait. Le lendemain après le dîner, comme<br />
on sortait de table, Cunégonde et Candide se tr<strong>ou</strong>vèrent derrière un paravent ; Cunégonde laissa tomber son<br />
m<strong>ou</strong>choir, Candide le ramassa, elle lui prit innocemment la main, le jeune homme baisa innocemment la<br />
main de la jeune demoiselle avec une vivacité, une sensibilité, une grâce t<strong>ou</strong>te particulière ; leurs b<strong>ou</strong>ches<br />
se rencontrèrent, leurs yeux s'enflammèrent, leurs gen<strong>ou</strong>x tremblèrent, leurs mains s'égarèrent. M. le baron<br />
de Thunder-ten-tronckh passa auprès du paravent, et voyant cette cause et cet effet, chassa Candide du<br />
château à grands c<strong>ou</strong>ps de pied dans le derrière ; Cunégonde s'évan<strong>ou</strong>it ; elle fut s<strong>ou</strong>ffletée par madame la<br />
baronne dès qu'elle fut revenue à elle-même ; et t<strong>ou</strong>t fut consterné 15 dans le plus beau et le plus agréable<br />
des châteaux possibles.<br />
Candide de Voltaire, chapitre premier, 1759.<br />
11<br />
Il s’agi de Paquette, que n<strong>ou</strong>s retr<strong>ou</strong>verons plus loin dans le roman<br />
12<br />
Sans s<strong>ou</strong>ffler : sans un bruit<br />
13<br />
Réitérées : répétées<br />
14<br />
La raison suffisante est un terme emprunté à la philosophie de Leibniz<br />
15 Consterné : anéanti
Candide, chapitre 3.<br />
COMMENT CANDIDE SE SAUVA D'ENTRE LES BULGARES 1 , ET CE QU'IL DEVINT<br />
Rien n'était si beau, si leste 2 , si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les<br />
fifres 3 , les hautbois, les tamb<strong>ou</strong>rs, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en<br />
enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la<br />
m<strong>ou</strong>squeterie 4 ôta du meilleur des mondes 5 environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la<br />
surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante 6 de la mort de quelques milliers d'hommes. Le<br />
t<strong>ou</strong>t p<strong>ou</strong>vait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un<br />
philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette b<strong>ou</strong>cherie héroïque.<br />
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum 7 chacun dans son camp, il prit le<br />
parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes 8 . Il passa par-dessus des tas de morts et de<br />
m<strong>ou</strong>rants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare 9 que les<br />
Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public 10 . Ici des vieillards criblés de c<strong>ou</strong>ps regardaient<br />
m<strong>ou</strong>rir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles<br />
éventrées après avoir ass<strong>ou</strong>vi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers s<strong>ou</strong>pirs ;<br />
d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient<br />
répandues sur la terre à côté de bras et de jambes c<strong>ou</strong>pés.<br />
Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros<br />
abares l'avaient traité de même. [..]<br />
Voltaire, Candide, chapitre 3, 1759.<br />
1 Ce nom renvoie à des tribus installées en Turquie et en Russie, il ne désigne pas un pays défini.<br />
2 Leste : élégant<br />
3 Fifres : petites flûtes en bois.<br />
4 Salve, décharge de m<strong>ou</strong>squets (fusils anciens)<br />
5 Expression empruntée au philosophe allemand Leibniz (1646-1716), elle caractérise ici sa philosophie optimiste.<br />
6 Raison suffisante (lexique philosophique emprunté à Leibniz) : principe selon lequel t<strong>ou</strong>t ce qui existe a sa raison d’être.<br />
7 Hymne chrétien (abrégé de te Deum Laudamus : Dieu, n<strong>ou</strong>s te l<strong>ou</strong>ons)<br />
8 Allusion à l’éducation de Candide (chapitre1), Pangloss lui a appris qu’ « il n’y a point d’effet sans cause ».<br />
9 Abare : relatif au peuple d’origine mongole qui envahit l’Europe orientale du VI° au IX° siècle.<br />
10 Droit international qui régit les relations entre les Etats.
1<br />
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Lecture analytique numéro 4 : l’explicit de Candide.<br />
Extrait du chapitre 30 : conclusion.<br />
Candide en ret<strong>ou</strong>rnant dans sa métairie fit de profondes réflexions sur le disc<strong>ou</strong>rs du Turc.<br />
Il dit à Pangloss et à Martin : « Ce bon vieillard me paraît s’être fait un sort bien préférable à<br />
celui des six rois avec qui n<strong>ou</strong>s avons eu l’honneur de s<strong>ou</strong>per.<br />
— Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de t<strong>ou</strong>s les philosophes ;<br />
car enfin Églon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et<br />
percé de trois dards ; le roi Nadab, fils de Jéroboam, fut tué par Baasa ; le roi Éla, par Zambri ;<br />
Ochosias, par Jéhu ; Athalie, par Joïada ; les rois Joachim, Jéchonias, Sédécias 1 , furent<br />
esclaves. V<strong>ou</strong>s savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus,<br />
Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien 2 ,<br />
Richard II d’Angleterre, Éd<strong>ou</strong>ard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Charles Ier , les trois<br />
Henri de France, l’empereur Henri IV 3 ? V<strong>ou</strong>s savez…<br />
— Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin.<br />
— V<strong>ou</strong>s avez raison, dit Pangloss ; car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut<br />
mis ut operaretur eum 4 , p<strong>ou</strong>r qu’il travaillât ; ce qui pr<strong>ou</strong>ve que l’homme n’est pas né p<strong>ou</strong>r le<br />
repos.<br />
— Travaillons sans raisonner, dit Martin, c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. »<br />
T<strong>ou</strong>te la petite société entra dans 5 ce l<strong>ou</strong>able dessein ; chacun se mit à exercer ses talents.<br />
La petite terre rapporta beauc<strong>ou</strong>p. Cunégonde était, à la vérité, bien laide ; mais elle devint une<br />
excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n’y eut pas jusqu’à frère<br />
Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et<br />
Pangloss disait quelquefois à Candide : « T<strong>ou</strong>s les événements sont enchaînés dans le meilleur<br />
des mondes possibles : car enfin si v<strong>ou</strong>s n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands<br />
c<strong>ou</strong>ps de pied dans le derrière p<strong>ou</strong>r l'am<strong>ou</strong>r de M lle Cunégonde, si v<strong>ou</strong>s n'aviez pas été mis à<br />
l'Inquisition 6 , si v<strong>ou</strong>s n'aviez pas c<strong>ou</strong>ru l'Amérique à pied, si v<strong>ou</strong>s n'aviez pas donné un bon<br />
c<strong>ou</strong>p d'épée au baron, si v<strong>ou</strong>s n'aviez pas perdu t<strong>ou</strong>s vos m<strong>ou</strong>tons du bon pays d'Eldorado, v<strong>ou</strong>s<br />
ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. — Cela est bien dit, répondit Candide,<br />
mais il faut cultiver notre jardin . »<br />
Voltaire, Candide, extrait du chapitre 30, 1759.<br />
1 T<strong>ou</strong>s ces noms proviennent de la Bible<br />
2 De Crésus à Domitien : personnages de l’Antiquité, présentés par ordre chronologique.<br />
3 Princes de l’époque moderne, qui eurent une fin tragique.<br />
4 Ut operatur eum : p<strong>ou</strong>r qu’il travaillât (citation de la Genèse)<br />
5 Entra dans : fut d’accord avec<br />
6 Tribunal religieux. juridiction créée au Moyen Age p<strong>ou</strong>r réprimer les délits d’hérésie <strong>ou</strong> d’incroyance. Très<br />
active au XVIème siècle p<strong>ou</strong>r réprimer la Réforme, surt<strong>ou</strong>t au Portugal et en Espagne. Au XVIIème réprime les<br />
délits : bigamie, atteintes aux biens de l’Eglise, blasphème… Abolie en 1820.
Séquence 3 : Candide. Document complémentaire p<strong>ou</strong>r l’étude du chapitre 3.<br />
Voltaire reprochait à l’Encyclopédie son excessive prudence : il aurait s<strong>ou</strong>haité une œuvre de combat, véhémente et militante,<br />
plus directement efficace. En 1764, il fait paraître Le dictionnaire philosophique portatif qui s’avère être l’arme philosophique<br />
tant désirée. Dans cette œuvre l’auteur confond avec une joie féroce dictionnaire et pamphlet et s’en prend avec une incroyable<br />
violence à la Bible et à la doctrine chrétienne. Dans l’article « Guerre », le philosophe p<strong>ou</strong>rsuit son inlassable combat contre la<br />
« b<strong>ou</strong>cherie héroïque » dénoncée en 1759 dans Candide.<br />
Article « Guerre »<br />
Le merveilleux de cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et<br />
invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain. Si un chef n'a eu que le bonheur de faire<br />
égorger deux <strong>ou</strong> trois mille hommes, il n'en remercie point Dieu ; mais lorsqu'il y en a eu environ dix mille<br />
d'exterminés par le feu et par le fer, et que, p<strong>ou</strong>r comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble,<br />
alors on chante à quatre parties une chanson assez longue 1 , composée dans une langue inconnue 2 à t<strong>ou</strong>s ceux<br />
qui ont combattu, et de plus t<strong>ou</strong>te farcie de barbarismes 3 . La même chanson sert p<strong>ou</strong>r les mariages et p<strong>ou</strong>r les<br />
naissances, ainsi que p<strong>ou</strong>r les meurtres : ce qui n'est pas pardonnable, surt<strong>ou</strong>t dans la nation la plus renommée<br />
p<strong>ou</strong>r les chansons n<strong>ou</strong>velles. […]<br />
On paye part<strong>ou</strong>t un certain nombre de harangueurs p<strong>ou</strong>r célébrer ces j<strong>ou</strong>rnées meurtrières ; les uns sont<br />
vêtus d'un long justaucorps noir, chargé d'un manteau éc<strong>ou</strong>rté ; les autres ont une chemise par-dessus une robe ;<br />
quelques-uns portent deux pendants d'étoffe bigarrée par-dessus leur chemise. T<strong>ou</strong>s parlent longtemps ; ils citent<br />
ce qui s'est fait jadis en Palestine, à propos d'un combat en Vétéravie 4 .<br />
Le reste de l'année, ces gens-là déclament contre les vices. Ils pr<strong>ou</strong>vent en trois points et par antithèses que<br />
les dames qui étendent légèrement un peu de carmin 5 sur leurs j<strong>ou</strong>es fraîches seront l'objet éternel des<br />
vengeances éternelles de l'Éternel; que Polyeucte et Athalie 6 sont les <strong>ou</strong>vrages du démon ; qu'un homme qui fait<br />
servir sur sa table p<strong>ou</strong>r deux cents écus de marée un j<strong>ou</strong>r de carême fait immanquablement son salut, et qu'un<br />
pauvre homme qui mange p<strong>ou</strong>r deux s<strong>ou</strong>s et demi de m<strong>ou</strong>ton va p<strong>ou</strong>r jamais à t<strong>ou</strong>s les diables. […]<br />
Misérables médecins des âmes, v<strong>ou</strong>s criez pendant cinq quarts d'heure sur quelques piqûres d'épingle, et<br />
v<strong>ou</strong>s ne dites rien sur la maladie qui n<strong>ou</strong>s déchire en mille morceaux ! Philosophes moralistes, brûlez t<strong>ou</strong>s vos<br />
livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du<br />
genre humain consacrée à l'héroïsme sera ce qu'il y a de plus affreux dans la nature entière.<br />
Que deviennent et que m'importent l'humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la d<strong>ou</strong>ceur, la<br />
sagesse, la piété, tandis qu'une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à<br />
vingt ans dans des t<strong>ou</strong>rments inexprimables, au milieu de cinq <strong>ou</strong> six mille m<strong>ou</strong>rants, tandis que mes yeux, qui<br />
s'<strong>ou</strong>vrent p<strong>ou</strong>r la dernière fois, voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers<br />
sons qu'entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirants s<strong>ou</strong>s des ruines, le t<strong>ou</strong>t p<strong>ou</strong>r des<br />
prétendus intérêts d'un homme que n<strong>ou</strong>s ne connaissons pas ?<br />
Voltaire, article « Guerre », Dictionnaire philosophique portatif, 1764<br />
QUESTIONS :<br />
1. en v<strong>ou</strong>s aidant de l’encadré ci-dess<strong>ou</strong>s, identifiez les procédés de l’ironie utilisés dans le premier paragraphe.<br />
2. Surlignez les termes appartenant au champ lexical de la violence et de la destruction, dans t<strong>ou</strong>t le texte.<br />
3. Quel est le registre dominant dans le dernier paragraphe ? Quel sont les procédés utilisés dans ce paragraphe p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>cher<br />
le lecteur ? En quoi diffèrent-ils des procédés du premier paragraphe ?<br />
4. Voltaire critique l’implication de la religion dans la guerre :<br />
- montrez (grâce à un relevé dans le premier paragraphe) que le champ lexical de la religion est systématiquement associé à<br />
celui du Mal, par une série d’antithèses.<br />
- par quels autres procédés Voltaire critique-t-il ici la religion ? (paragraphes 2 à 4)<br />
QUESTION D’ENTRETIEN : quels points communs voyez-v<strong>ou</strong>s entre ce texte et le chapitre 3 de Candide ?<br />
Les procédés de l’ironie (à savoir). L’ironie permet de t<strong>ou</strong>rner l’adversaire en dérision en s’appuyant sur la complicité du lecteur.<br />
Elle s’appuie sur 3 procédés principaux :<br />
1. l’antiphrase, qui consiste à dire le contraire de ce que l’on veut faire comprendre (« c’est sans d<strong>ou</strong>te un très bel art que celui qui<br />
désole les campagnes »)<br />
2. Le rapprochement de mots <strong>ou</strong> de situation appartenant à des domaines opposés (repérable grâce à des jeux d’antithèses<br />
<strong>ou</strong> d’oxymores). Ex : « chacun marche gaiement au crime s<strong>ou</strong>s la bannière de son saint »<br />
3. la périphrase satirique, qui consiste à remplacer un mot aux connotations valorisantes par un mot aux connotations<br />
dévalorisantes (« un général tr<strong>ou</strong>ve un grand nombre d’hommes qui n’ont rien à perdre (= des soldats/ guerriers) ; il les habille<br />
d’un gros drap bleu à cent dix s<strong>ou</strong>s l’aune (= d’un uniforme de soldat)<br />
1<br />
Il s’agit du Te Deum, chant d’action de grâce et de l<strong>ou</strong>anges en latin.<br />
2<br />
Le latin.<br />
3<br />
Faute grossière de langage, emploi de mots inventés <strong>ou</strong> déformés.<br />
4<br />
Nom ancien de la Rhénanie, région allemande du Rhin.<br />
5<br />
Fard à j<strong>ou</strong>e.<br />
6<br />
Deux grandes tragédies de Racine.