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Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

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« J’ai commencé par imiter <strong>le</strong>s <strong>poète</strong>s que j’admirais : en particulier, <strong>le</strong>s romantiques et <strong>le</strong>s<br />

symbolistes. Mais, après mes études à la Sorbonne, nommé professeur au lycée de Tours, je me<br />

suis mis à réfléchir sur la poésie. D’autant que […] <strong>le</strong>s cours que je commençais de suivre à l’Eco<strong>le</strong><br />

pratique des Hautes Etudes m’avaient amené à lire, et des <strong>poète</strong>s négro-américains, et surtout des<br />

<strong>poète</strong>s négro-africains. C’est en traduisant <strong>le</strong>urs poèmes que je me suis aperçu que <strong>le</strong> vers négroafricain,<br />

traduit en français, débordait l’a<strong>le</strong>xandrin. C’est alors que j’ai détruit tous mes poèmes et,<br />

repartant de zéro, que je me suis mis à la recherche d’un vers nouveau, que j’ai fini par trouver<br />

dans <strong>le</strong> verset de Paul Claudel, comme de Char<strong>le</strong>s Péguy et de <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>. C’est pourquoi je<br />

n’ai gardé que <strong>le</strong>s poèmes écrits après 1935. » 33<br />

Ceci aurait dû suffire à faire taire <strong>le</strong>s négations a posteriori : on ne saurait être plus clair quant<br />

<strong>aux</strong> fondements du choix pour <strong>le</strong> verset, choix d’autant plus important qu’il induit pour <strong>le</strong><br />

<strong>poète</strong> l’assentiment pour une forme adéquate à son souff<strong>le</strong> propre et conforme à son identité.<br />

Quant à l’originalité de <strong>Senghor</strong> dans son usage du verset, el<strong>le</strong> est suffisamment manifeste et<br />

n’a point besoin de stratagèmes pour être défendue ; el<strong>le</strong> a d’ail<strong>le</strong>urs été p<strong>le</strong>inement explorée<br />

par Renée Tillot, 34 qui constate pourtant : « <strong>le</strong> verset de <strong>Senghor</strong> s’apparente à celui de <strong>Saint</strong>-<br />

<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>. » 35<br />

Comme on <strong>le</strong> notera pour chacune des catégories poétiques envisagées dans l’étude de Liberté<br />

1, <strong>le</strong>s analyses de <strong>Senghor</strong> obéissent toujours à la même logique, consistant à rapprocher <strong>le</strong>s<br />

choix pratiqués par <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, des traits esthétiques propres selon lui à la poésie négroafricaine.<br />

Cette attitude, qui lui est si caractéristique (on y reviendra), équivaut dans une<br />

certaine mesure, à s’approprier <strong>le</strong>s repères de la poétique persienne, qui deviennent sous sa<br />

plume des avatars objectifs de la Négritude. C’est en cela que presque systématiquement dans<br />

ce texte, il opère un constant va-et-vient entre la prise en compte des catégories persiennes en<br />

tant que tel<strong>le</strong>s et la précision de <strong>le</strong>ur similitude avec des racines africaines, de sorte que c’est<br />

une étonnante « <strong>le</strong>cture en Négritude » de <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> qu’il construit là. Pour <strong>le</strong> rythme<br />

donc, il s’attache à rapprocher ce qu’il conçoit comme la caractéristique de la métrique<br />

persienne, à savoir <strong>le</strong> « rythme binaire », du rapport indissociab<strong>le</strong> à ses yeux entre la<br />

Négritude et la notion même de rythme – et de rythme binaire tout particulièrement. Sur <strong>le</strong><br />

modè<strong>le</strong> de toute la phraséologie qu’il a développée dans plusieurs textes théoriques, il montre<br />

combien ce rythme binaire est consubstantiel à l’expression des « Forces vita<strong>le</strong>s » et au<br />

jaillissement de l’émotion :<br />

« De savants critiques – Roger Caillois, Alain Bosquet – ont montré que <strong>le</strong> verset de <strong>Perse</strong> est<br />

composé de vers blancs, librement répartis : hexasyllabes, octosyllabes, décasyllabes, a<strong>le</strong>xandrins.<br />

Ce que je veux souligner, c’est que, sous ses différents aspects, c’est <strong>le</strong> rythme binaire, celui de<br />

l’amb<strong>le</strong>, <strong>le</strong> rythme même des Forces vita<strong>le</strong>s : celui des jours et des saisons, du flux et du reflux, du<br />

battement du cœur, de la respiration, de la marche, de l’amour. » 36<br />

Or, on <strong>le</strong> sait bien, vitalisme et émotion sont, dans la dia<strong>le</strong>ctique senghorienne, <strong>le</strong>s deux<br />

paradigmes constitutifs du lien entre rythme et Négritude. Dans Liberté 1, cherchant à cerner<br />

« <strong>le</strong>s lois de la culture négro-africaine », il définit <strong>le</strong> rythme comme étant « l’architecture de<br />

l’être, <strong>le</strong> dynamisme interne qui lui donne forme, <strong>le</strong> système d’ondes qu’il émet à l’adresse<br />

des Autres, l’expression pure de la force qui, à travers <strong>le</strong>s sens, vous saisit à la racine de<br />

33<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, La poésie de l’action. Conversations avec Mohamed Aziza, Paris, Stock, 1980, p. 102-103.<br />

34<br />

Cf. Renée Tillot, Le rythme dans la poésie de L.S. <strong>Senghor</strong>, op. cit., p. 56 à 64.<br />

35<br />

Ibid., p. 70.<br />

36<br />

LS. <strong>Senghor</strong>, « <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> ou la poésie du royaume d’enfance », op. cit., p. 335. Prenant modè<strong>le</strong> sur<br />

l’« amb<strong>le</strong> », <strong>Senghor</strong> est ici assez proche de cet « iambe » qui n’a pas manqué de <strong>le</strong> marquer dans sa <strong>le</strong>cture de<br />

Claudel.<br />

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