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Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

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éponyme (qui relève déjà d’une appellation de cet ordre) est identifié par un nom à majuscu<strong>le</strong>,<br />

celui de « l’Ethiopienne », par ail<strong>le</strong>urs « Parée du pentagramme », tout comme <strong>le</strong>s chiffres<br />

divins ou autres signes d’é<strong>le</strong>ction tant prisés par <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>. Le Prince d’« Amitié du<br />

prince » n’est-il pas lui-même paré d’une tel<strong>le</strong> marque, symbo<strong>le</strong> de son excel<strong>le</strong>nce et de sa<br />

mission :<br />

« “J’ai vu <strong>le</strong> signe sur ton front et j’ai considéré ton rô<strong>le</strong> parmi nous. […]” » 194<br />

A l’occasion de cette parenté, ouvrons une parenthèse, dans l’énumération des emprunts<br />

réinvestis, au sujet d’une autre similitude dans <strong>le</strong>s pratiques de nomination que l’on peut<br />

constater entre autres dans Ethiopiques : si comme nous l’avons dit, la longue et attentive<br />

fréquentation de la poésie de <strong>Perse</strong> a fortifié en <strong>Senghor</strong> l’idée du pouvoir démiurgique du<br />

langage, il en a éga<strong>le</strong>ment retenu que <strong>le</strong>s mots pouvaient s’élider en quelque frontière<br />

d’indicib<strong>le</strong>, conférant à la paro<strong>le</strong> poétique « <strong>le</strong> sens de ses propres limites ». 195 Les soudaines<br />

intrusions du néant qui irriguent tant Exil ont certainement frappé <strong>Senghor</strong>, mais plus encore<br />

la reconnaissance si fréquemment affirmée chez <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> de ces limites du langage,<br />

par <strong>le</strong> biais direct de certains aveux, tel qu’en garde trace par exemp<strong>le</strong> Cohorte, plaçant la<br />

« Frégate-Aig<strong>le</strong> » au-dessus de toute nomination :<br />

« Voici, voici qui ne fut point, qui ne sera point nommé, celui pour nous qui toujours fut, et<br />

sera, “l’Innommé” ! (pour d’autres, la “Frégate-Aig<strong>le</strong>” ou ”Frégata Magnificens”). » 196<br />

Semb<strong>le</strong> lui répondre (mais c’est surtout là effet d’une conjonction dans la conception que l’on<br />

a dite) ce passage de la sixième strophe de « L’Absente » :<br />

« Donc je nommerai <strong>le</strong>s choses futi<strong>le</strong>s qui f<strong>le</strong>uriront de ma nomination – mais <strong>le</strong> nom de<br />

l’Absente est ineffab<strong>le</strong>. »<br />

Dans <strong>le</strong>s « Epîtres à la Princesse », parlant de la Mésopotamie :<br />

« Les hommes y sont de quatre coudées. Il ne distinguent pas <strong>le</strong>ur gauche de <strong>le</strong>ur droite, ils<br />

ont neuf noms pour nommer <strong>le</strong> palmier mais <strong>le</strong> palmier n’est pas nommé. » 197<br />

On ne peut qu’être à son tour frappé du parallè<strong>le</strong> – sans pour autant conclure à l’écho, la<br />

publication de Cohorte ayant dû attendre la parution du volume de la Pléiade en 1972, et<br />

Ethiopiques datant, rappelons-<strong>le</strong>, de 1956. L’imprégnation d’une certaine esthétique aura-tel<strong>le</strong><br />

suffit ? On peut <strong>le</strong> présumer, mais plus sûrement observer qu’ici se vérifie encore <strong>le</strong><br />

constat de liens stylistiques et thématiques.<br />

Pour en revenir <strong>aux</strong> quelques emprunts d’éléments et autres échos révélateurs, une pareil<strong>le</strong><br />

sensation de proximité stylistique qui ne laisse pas de doute quant à l’imprégnation en<br />

question, peut être ressentie dans <strong>le</strong> seconde épître, « Ambassadeur du Peup<strong>le</strong> noir », lorsque<br />

évoquant l’appel de la tâche qu’il se doit d’accomplir auprès de son peup<strong>le</strong>, <strong>le</strong> <strong>poète</strong> prend <strong>le</strong>s<br />

accents d’un « prince de l’exil » persien :<br />

« Le peup<strong>le</strong> noir m’attend pour <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ctions des Hauts-Sièges, l’ouverture des Jeux et des<br />

fêtes de la Moisson / Et je dois rég<strong>le</strong>r <strong>le</strong> bal<strong>le</strong>t des circoncis. Ce sont là choses graves. » 198<br />

194<br />

<strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, « Amitié du prince », I, La gloire des Rois, op. cit., p. 65.<br />

195<br />

L’expression est de Robert Jouanny (Les voies du lyrisme dans <strong>le</strong>s “Poèmes” de Léopold Sédar <strong>Senghor</strong>, op.<br />

cit., p. 23).<br />

196<br />

<strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, Cohorte, O.C., p. 687.<br />

197<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « Princesse, ton épître », op. cit., p. 143.<br />

198<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « Ambassadeur du peup<strong>le</strong> noir », op. cit., p. 136.<br />

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