25.06.2013 Views

Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

d’« Amitié du prince » et plus qu’auparavant, la référence se fait ouverte et franche, allégée<br />

même du détour et de la médiation, après que tant de variantes l’ont façonnée. C’est de cette<br />

façon que se trouve réemployée tout d’abord la formu<strong>le</strong> éponyme dont se sert <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong><br />

<strong>Perse</strong> dans <strong>le</strong> chant III d’« Amitié du prince », pour introduire <strong>le</strong> discours du Prince au <strong>poète</strong> :<br />

« Amitié du Prince ! […] » 183 <strong>Senghor</strong> donc, en écho direct, introduisant pareil<strong>le</strong>ment l’épître<br />

fina<strong>le</strong> de la Princesse : « Amitiés de la Princesse ! » 184 L’intertexte se mue en symétrie, en<br />

parallè<strong>le</strong>, qui n’est pourtant pas citation stricto sensu et la cuistrerie du plagiat est évitée, la<br />

mémoire du texte persien s’alimentant éga<strong>le</strong>ment d’une référence interne implicite à tout <strong>le</strong><br />

trajet de réinvention qui a été accompli au sein du recueil : d’aucuns gloseraient ici cette<br />

convergence de l’« intratextualité » 185 et de l’intertextualité, ce relais de la réminiscence<br />

poétique (<strong>le</strong> souvenir implicite de la référence) par la mémoire du texte d’accueil tel qu’il<br />

s’organise. Ce serait donc autant par référence à <strong>Perse</strong> que cette épître fina<strong>le</strong> induit ces<br />

« Amitiés de la Princesse », que par cohérence interne avec tout ce qui précède : <strong>le</strong><br />

fonctionnement de l’intertexte désigne ici une étonnante circularité dia<strong>le</strong>ctique. Quoiqu’il en<br />

soit, l’écho est complété, empruntant alors à <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> la réponse du <strong>poète</strong> :<br />

« “J’ai pris connaissance de ton message. Et l’amitié est agréée, comme un présent de feuil<strong>le</strong>s<br />

odorantes : mon cœur s’en trouve rafraîchi… […]” » 186<br />

qui devient cel<strong>le</strong> de la Princesse chez <strong>Senghor</strong> :<br />

« “J’ai bien entendu ton message. / Il a fait mon cœur si frais ! Boisson exquise mets de<br />

prédi<strong>le</strong>ction. […]” » 187<br />

Ce message entendu est-il aussi celui de <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> en son geste poétique ? Le dialogue<br />

intertextuel pratiqué par <strong>Senghor</strong> et son haut degré de subtilité pourrait effectivement donner à<br />

penser que se glisse là une sorte de clausu<strong>le</strong> de l’échange ; l’assertion serait ainsi une<br />

conclusion personnel<strong>le</strong> du dialogue : <strong>le</strong> propos pourrait donc bien être tant celui de <strong>Senghor</strong> à<br />

<strong>Perse</strong> que celui de la Princesse au <strong>poète</strong>, l’un comme l’autre ayant « bien entendu <strong>le</strong><br />

message ». L’hypothèse, pour osée qu’el<strong>le</strong> puisse paraître, est en tout cas cohérente, en regard<br />

de tout ce qui a été entrepris jusqu’alors par <strong>Senghor</strong> pour animer sa relation à <strong>Perse</strong> et<br />

l’accueil de son texte. Que ne s’en remet-on dans ce cas au charme des hypothèses, en<br />

profitant de l’ouverture volontaire suggérée par <strong>Senghor</strong> dans la soup<strong>le</strong>sse même de ses<br />

emprunts ; on est là face à une tel<strong>le</strong> richesse du rapport intertextuel qu’il peut paraître<br />

réducteur de vouloir à tout prix l’expliquer en théorie.<br />

On en viendrait presque à oublier que tout ce processus de transposition rhétorique est<br />

sous-tendu par une suite continue d’emprunts « réinvestis », d’apparence plus modeste et<br />

néanmoins signifiants, en cela qu’ils en fournissent une sorte de support <strong>le</strong>xical. Plus encore<br />

que dans « L’Absente », ces sortes de clins d’œil actifs qui portent sur <strong>le</strong>s termes, expressions<br />

et tournures, témoignent d’une même gourmandise de la référence et tiennent lieu de jalons<br />

disposés tout <strong>le</strong> long de l’intertexte, comme pour en rythmer <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment et renforcer <strong>le</strong><br />

lien étroit qui a été établi au sein du recueil, avec <strong>le</strong> texte de <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>. Il acquièrent en<br />

outre une tel<strong>le</strong> amp<strong>le</strong>ur qu’il est à vrai dire arbitraire de <strong>le</strong>s distinguer radica<strong>le</strong>ment de la<br />

première modalité qu’on a vu à l’œuvre, et il n’est ici question que de commodité dia<strong>le</strong>ctique<br />

183 <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, « Amitié du prince », III, op. cit., p. 69.<br />

184 L.S. <strong>Senghor</strong>, « La mort de la Princesse », op. cit., p. 145.<br />

185 Le concept a naguère connu une certaine fortune dans <strong>le</strong>s approches de l’intertextualité : <strong>le</strong> néologisme a été<br />

forgé par Jean Verrier dans une étude sur Sega<strong>le</strong>n (« Sega<strong>le</strong>n <strong>le</strong>cteur de Sega<strong>le</strong>n », Poétique, N° 26, 1974, p.<br />

338-339) et théorisé entre autres par Tzvetan Todorov (Symbolisme et interprétation, Paris, Seuil, coll.<br />

« Poétique », 1978, p. 61-62).<br />

186 <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, « Amitié du prince », III, op. cit., p. 70.<br />

187 L.S. <strong>Senghor</strong>, « La mort de la Princesse », op. cit., p. 145.<br />

38

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!