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Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

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« Je ne chasserai la girafe, ni l’autruche ni l’hippotrague. J’ai dessein de faire retraite / Loin<br />

des guerriers. Car j’ai pris goût <strong>aux</strong> choses de l’esprit / Tel quelqu’un qui a beaucoup vu et<br />

veut beaucoup apprendre. » 169<br />

Non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> motif des « choses de l’esprit » a donc été récupéré, mais aussi l’idée même<br />

de l’opposition entre expérience et savoir supérieur : <strong>le</strong> <strong>poète</strong> veut apprendre et vivre cette<br />

autre dimension qui n’est plus <strong>le</strong> parcours empirique ; or la Princesse est présumée être à<br />

Paris, « à la fête de l’esprit », tel qu’une interrogation <strong>le</strong> laisse supposer. 170 C’est donc peutêtre<br />

aussi à la faveur de son exemp<strong>le</strong> que se fera cet apprentissage, tel que <strong>le</strong> Prince de <strong>Saint</strong>-<br />

<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> demeure la référence spirituel<strong>le</strong> du <strong>poète</strong>. Mutatis mutandis.<br />

Dans l’épître intitulée « Ambassadeur du peup<strong>le</strong> noir », <strong>le</strong> doute et l’impatience s’insinuent<br />

dans l’attente de la réponse :<br />

« Princesse très prudente et Princesse très bonne, tes nuits sont-el<strong>le</strong>s veil<strong>le</strong>s sur ta couche ?<br />

La réponse non dépêchée ? » 171<br />

Cet infléchissement du propos relève-t-il lui aussi d’un emprunt à <strong>Perse</strong> ? On <strong>le</strong> présume, en<br />

prenant en compte <strong>le</strong> ton usité ici – jusqu’à l’adoption de ce modè<strong>le</strong> si caractéristique de<br />

formulation de l’éloge : « Princesse très prudente et Princesse très bonne », qui rappel<strong>le</strong> tant<br />

l’« Homme-très-attrayant » et l’« Homme très simp<strong>le</strong> parmi nous » d’« Amitié du prince » I et<br />

II. 172 Plus loin, toujours dans la même épître, il ne s’agit plus d’une simp<strong>le</strong> présomption,<br />

puisque l’impatience prend la forme d’une injonction toute particulière :<br />

« Hâte-toi donc Belborg, ma mission n’est pas d’une lune. » 173<br />

Or, on se souvient que <strong>le</strong> motif même de cette injonction est justement mis en évidence dans<br />

<strong>le</strong> chant III d’« Amitié du prince », où <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> l’utilise à dessein à trois reprises :<br />

« “Amitié du Prince ! Hâte-toi… Son bien peut-être à partager. […] Hâte-toi.[…] Hâte-toi ! je<br />

t’attends !…Prends par la route des marais et par <strong>le</strong>s bois de camphriers.” » 174<br />

Il faut être attentif à l’inversion rhétorique en jeu ici : alors que chez <strong>Perse</strong>, c’est <strong>le</strong> Prince qui<br />

adresse l’injonction au <strong>poète</strong>, chez <strong>Senghor</strong> en revanche, c’est bien <strong>le</strong> <strong>poète</strong> qui en est<br />

l’émetteur. Manière très imaginative, très inventive d’étoffer la transposition qui se poursuit<br />

donc, et la suite des « Epîtres » en apporte encore de subti<strong>le</strong>s illustrations, au point qu’on est<br />

frappé par cette étendue de l’intertexte, qui se déploie en l’espèce sous la forme continue et<br />

variée d’un échange, plus que cel<strong>le</strong> d’une juxtaposition rébarbative d’emprunts ; <strong>le</strong> début de<br />

l’épître suivante, « Comme rosée du soir », alimente à nouveau ce modè<strong>le</strong> de l’inversion<br />

rhétorique, car tandis qu’« Amitié du prince », III, faisant place à la réponse du <strong>poète</strong> à la<br />

<strong>le</strong>ttre du prince, chante « l’honneur de son nom » :<br />

« Tel<strong>le</strong> est sa <strong>le</strong>ttre. El<strong>le</strong> est d’un sage. Et ma réponse est cel<strong>le</strong>-ci :<br />

“Honneur au Prince sous son nom ! […]” » 175<br />

170 Cf. ibid. : « Es-tu à Paris à la fête de l’esprit ? »<br />

171 L.S. <strong>Senghor</strong>, « Ambassadeur du peup<strong>le</strong> noir », in « Epîtres à la Princesse », Ethiopiques, O.P., p. 136.<br />

172 Cf. <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, « Amitié du prince », I et II, La gloire des Rois, O.C., respectivement p. 65 et 67.<br />

173 L.S. <strong>Senghor</strong>, « Ambassadeur du peup<strong>le</strong> noir », in « Epîtres à la Princesse », Ethiopiques, O.P., p. 136.<br />

174 <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, « Amitié du prince », III, La gloire des Rois, O.C., p. 69.<br />

175 Ibid.<br />

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