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Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

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<strong>le</strong>xica<strong>le</strong>, la clarté syntaxique, l’harmonie stylistique et <strong>le</strong>s soubassements humanistes du<br />

français, langue par excel<strong>le</strong>nce de la poésie selon lui, et terreau ontologique de sa propre<br />

psyché créatrice. 117 Objet d’une réel<strong>le</strong> vénération, d’une profonde fascination, qui va<br />

volontiers jusqu’à la divinisation, car il déclare à propos du français dans la postface<br />

d’Ethiopiques : « Car je sais ses ressources pour l’avoir goûté, mâché, enseigné, et qu’il est la<br />

langue des dieux. » 118 <strong>Perse</strong> a quant à lui dressé dans une <strong>le</strong>ttre à Archibald MacLeish un<br />

fervent plaidoyer de son identité française, se définissant comme « une argi<strong>le</strong> essentiel<strong>le</strong>ment<br />

française » et reconnaissant dans <strong>le</strong> français <strong>le</strong> refuge essentiel de son enracinement d’exilé<br />

ainsi que <strong>le</strong> « seul lieu du poème » :<br />

« […] la langue française serait encore pour moi la seu<strong>le</strong> patrie imaginab<strong>le</strong>, l’asi<strong>le</strong> et l’antre par<br />

excel<strong>le</strong>nce, l’armure et l’arme par excel<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong> seul “lieu géométrique” où je puisse me tenir en ce<br />

monde pour y rien comprendre, y rien vouloir ou renoncer. » 119<br />

De là éga<strong>le</strong>ment ce pari pris par <strong>Senghor</strong> d’une francité qui soit <strong>le</strong> plus sûr chemin vers<br />

l’universel, « parce que <strong>le</strong> français est une langue à vocation universel<strong>le</strong> » 120 (et c’est la<br />

raison d’être même de la francophonie), alors que dans <strong>le</strong> même ordre d’idée, <strong>Perse</strong> précise<br />

dans son « Message pour Valéry Larbaud » : « Vous avez su combien, d’être plus français, on<br />

honore plus d’humanité. » 121 N’en doutons pas : la même conception d’une identité française<br />

qui soit aussi un puissant <strong>le</strong>vain d’universalité est à l’œuvre chez <strong>le</strong>s deux <strong>poète</strong>s.<br />

Mais qu’importe : l’essentiel est que dans La poésie de l’action comme ail<strong>le</strong>urs, Claudel,<br />

Péguy et <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, au « sty<strong>le</strong> nègre » si patenté, se retrouvent rattachés à l’horizon<br />

identitaire et esthétique d’une certaine négritude. Autant en emporte la conception<br />

senghorienne de l’influence, où prédomine un mouvement d’identification au même, comme<br />

cette formu<strong>le</strong> de La Paro<strong>le</strong> chez Paul Claudel et chez <strong>le</strong>s Négro-Africains en apporte sans<br />

doute la clé : « Cependant, l’on imite que celui à qui l’on ressemb<strong>le</strong>, comme <strong>le</strong> fils son père<br />

ou, plus exactement peut-être, <strong>le</strong> frère son grand-frère. » 122 Formu<strong>le</strong> éclairante en effet à plus<br />

d’un titre. El<strong>le</strong> confirme avant tout cette étroite corrélation qui existe chez <strong>Senghor</strong> entre<br />

identité et altérité dans la formulation de l’influence, et il n’est dès lors guère étonnant de <strong>le</strong><br />

voir illustrer encore ce concept à propos de la genèse du mouvement de la Négritude (en y<br />

rangeant <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>), toujours dans La poésie de l’action :<br />

« Nous avons toujours essayé […] d’assimi<strong>le</strong>r ce qui nous paraissait similaire ou complémentaire<br />

au génie nègre. Nous lisions, et aimions, Péguy, Claudel, <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> et d’autres, parce qu’ils<br />

nous présentaient un certains aspect de la “négritude en français”. » 123<br />

encore. Ce sont, comme l’écrit Pierre de Boisdeffre, “des voix venues de toutes <strong>le</strong>s nations”. Et, ajouterai-je,<br />

dont <strong>le</strong> dénominateur commun est la Francité. » (L.S. <strong>Senghor</strong>, « Commerce et culture », in Liberté 3, Négritude<br />

et Civilisation de l’Universel, op. cit., p. 155-156).<br />

117 Les références sont multip<strong>le</strong>s chez <strong>Senghor</strong>, qui pourraient attester cette importance crucia<strong>le</strong> accordée à la<br />

langue française ; on pourra se référer par exemp<strong>le</strong> à un texte paru dans la revue Esprit en 1962, puis repris dans<br />

Liberté 1 (op. cit., p. 354 à 363) « Le français langue de culture ».<br />

118 L.S. <strong>Senghor</strong>, « Comme <strong>le</strong>s lamentins vont boire à la source », postface d’Ethiopiques, O.P., p. 167.<br />

119 <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, <strong>le</strong>ttre à Archibald MacLeish « sur l’immunité poétique à l’égard de toute vie littéraire, de<br />

tout exotisme et de toute culture ; sur la langue française comme lien essentiel et seul lieu du poème », du 23<br />

décembre 1941, O.C., p. 551. Plus loin dans cette <strong>le</strong>ttre, il confirme sa vision essentiel<strong>le</strong>ment française des<br />

Antil<strong>le</strong>s : « Je ne vous par<strong>le</strong> pas non plus des Antil<strong>le</strong>s, qui, pour avoir profondément mêlé mon enfance à la vie<br />

anima<strong>le</strong> et végéta<strong>le</strong> des Tropiques, n’en demeurent pas moins pour moi de l’essence française, et la plus vieil<strong>le</strong>. »<br />

120 Cf. L.S <strong>Senghor</strong>, « Comme <strong>le</strong>s lamentins vont boire à la source », postface d’Ethiopiques, op. cit., p. 166.<br />

121 <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, « Message pour Valéry Larbaud » publié dans <strong>le</strong>s Cahiers de la Pléiade (automne 1951 –<br />

printemps 1952) et repris dans <strong>le</strong>s Œuvre Complètes, p. 558.<br />

122 L.S. <strong>Senghor</strong>, La Paro<strong>le</strong> chez Paul Claudel et chez <strong>le</strong>s Négro-Africains, repris in Liberté 3, op. cit., p. 348.<br />

123 L.S. <strong>Senghor</strong>, La poésie de l’action, op. cit., p. 104.<br />

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