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Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

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déterminant surtout <strong>le</strong> champ du symbo<strong>le</strong>, <strong>le</strong> point commun des deux entités étant la tension<br />

induite par une relation intime à l’objet. 55 On comprend donc son assentiment pour <strong>le</strong>s images<br />

de <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, chez qui prédomine cette pratique de la « relation » que <strong>Senghor</strong> met en<br />

avant, quoiqu’il en soit des catégories linguistiques mises en jeu – et c’est ce qu’il constate :<br />

« <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> use de toutes <strong>le</strong>s figures avec une variété et une maîtrise rarement égalée »,<br />

s’empressant d’ajouter : « Ce qui nous repose de la fatigante monotonie des procédés<br />

surréalistes. » 56 A nouveau, l’estocade est vive contre <strong>le</strong>s usages qu’il considère frivo<strong>le</strong>s ou<br />

complaisants dans l’exploitation des ressources de l’image poétique par <strong>le</strong>s surréalistes (<strong>le</strong><br />

fameux « stupéfiant image »), jamais sous-tendue comme chez <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> par une<br />

écriture non pas automatique, mais « savamment, subti<strong>le</strong>ment dirigée » 57 ; cette opposition<br />

réitérée par <strong>Senghor</strong> dans <strong>le</strong> texte est d’ail<strong>le</strong>urs riche d’enseignements. El<strong>le</strong> révè<strong>le</strong> l’un des<br />

plus importants aspects de l’influence persienne sur ses conceptions propres, en cela qu’il<br />

s’identifie à la position qu’il considère comme étant cel<strong>le</strong> de <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> par rapport à la<br />

modernité poétique et à la tradition. Vers la fin de l’étude, il dénonce la critique structuraliste<br />

des années soixante qui n’avait pris en compte chez <strong>Perse</strong> que <strong>le</strong> seul contemporain et « la<br />

poétique » au détriment du traditionnel et de la poésie. 58 A ses yeux, l’éminente modernité de<br />

<strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> ne fait aucun doute par bien des aspects, 59 mais <strong>le</strong> travail minutieux de la<br />

langue, <strong>le</strong> souci de la « propriété » du mot (selon l’expression qu’aimait à employer <strong>le</strong> <strong>poète</strong>)<br />

font de <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong>, selon lui, éga<strong>le</strong>ment un classique. C’est cette symbiose du moderne<br />

et du classique qu’il salue, 60 et l’on peut y voir sans peine une façon pour lui, par complète<br />

identification, d’affirmer, d’ancrer sa propre situation en poésie, à travers la va<strong>le</strong>ur exemplaire<br />

d’un modè<strong>le</strong> d’équilibre.<br />

L’équilibre : tel est justement, <strong>aux</strong> yeux de <strong>Senghor</strong>, la vertu principa<strong>le</strong> de l’image persienne,<br />

qui repose sur de multip<strong>le</strong>s « correspondances » liant de façon étroite <strong>le</strong> concret et l’abstrait –<br />

et c’est ce qu’il détail<strong>le</strong> en s’intéressant à la structure du symbo<strong>le</strong> comme « signe d’identité »,<br />

donnant lieu chez <strong>Perse</strong> à « l’un des plus merveil<strong>le</strong>ux jeux de correspondances, de<br />

comparaisons et de métaphores. » 61 C’est aussi, et de manière encore plus précise, ce qu’il<br />

observe à deux reprises dans Liberté 3, Négritude et civilisation de l’universel, plaçant <strong>Saint</strong>-<br />

<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> par excel<strong>le</strong>nce au premier rang de ceux qui ont garanti, dans la modernité<br />

poétique, par <strong>le</strong> truchement de cette alliance du concret et de l’abstrait, <strong>le</strong>s qualités d’équilibre<br />

de la poésie française :<br />

« Il reste, encore une fois, que la Révolution culturel<strong>le</strong> de 1889, de Bergson à Sartre, de Rimbaud à<br />

Péguy, si el<strong>le</strong> a bou<strong>le</strong>versé la langue française, el<strong>le</strong> ne l’a pas disloquée. Pas même l’aventure<br />

surréaliste. […] Il y a seu<strong>le</strong>ment que cette symbiose du concret et de l’abstrait, du précieux et du<br />

populaire chez <strong>le</strong>s grands écrivains contemporains de langue française, et surtout chez <strong>le</strong>s <strong>poète</strong>s,<br />

que ces inversions et ruptures de construction, ces images analogiques, assonances et allitérations<br />

ont rapproché <strong>le</strong> français de l’anglais en lui donnant cou<strong>le</strong>urs et musc<strong>le</strong>s et musique – sans lui faire<br />

perdre ses vertus essentiel<strong>le</strong>s, qui sont la clarté et l’équilibre. Qualités dont témoigne <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong><br />

<strong>Perse</strong>, <strong>le</strong> plus grand <strong>poète</strong> vivant de langue française […]. » 62<br />

« En combinant toutes ces ressources dans une symbiose du concret et de l’abstrait, du populaire et<br />

du précieux, en mêlant l’inversion et la rupture de construction, la simp<strong>le</strong> nomination et l’image,<br />

55<br />

Cf. L.S. <strong>Senghor</strong>, « <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> ou poésie du royaume d’enfance », op. cit., p. 341.<br />

56<br />

Ibid.<br />

57<br />

Ibid., p. 349.<br />

58<br />

Cf. ibid., p. 352.<br />

59<br />

Se référant à Gaétan Picon, il atteste l’un des paramètres qu’il envisage comme la plus sûre aune de la<br />

modernité de l’écriture, à savoir <strong>le</strong> fait que, comme dans Exil, <strong>le</strong> poème se fait commentaire de l’acte de création<br />

(l’auto-énonciation) : cf. ibid., p. 344.<br />

60<br />

Cf. ibid., p. 338 : « <strong>Perse</strong> est un moderne […] et aussi un ancien ».<br />

61<br />

Ibid., p. 343.<br />

62<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « Anglophonie et francophonie », in Liberté 3, Négritude et civilisation de l’universel, op. cit.,<br />

p. 461. Pour illustrer ces qualités de « clarté » et d’« équilibre », <strong>Senghor</strong> cite par la suite quatre vers de Vents.<br />

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