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Senghor - Saint-John Perse, le poète aux masques

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« La monotonie […] n’est qu’une première impression. Comme dans <strong>le</strong>s chants populaires,<br />

singulièrement dans <strong>le</strong>s chants nègres, où <strong>le</strong> rythme de base, despotiquement affirmé, cache, à<br />

l’auditeur distrait, <strong>le</strong>s syncopes et contrepoints du chanteur ; où, dans la même phrase mélodique,<br />

se glissent de délicates variantes, qui ne sont perçues que par des oreil<strong>le</strong>s délicates. Comme <strong>le</strong> fait<br />

remarquer Gide dans Voyage au Congo. » 43<br />

Ail<strong>le</strong>urs, il a montré combien ce « rythme de tam-tam africain, lancinant, monotone,<br />

despotique » 44 dissimu<strong>le</strong> en réalité un « polyrythme » et « une sorte de contrepoint<br />

rythmique » sous-jacent à la voix humaine et « qui évite à la paro<strong>le</strong> cette singularité<br />

mécanique qui engendre la monotonie », ajoutant : « Le poème apparaît, ainsi, comme une<br />

architecture, une formu<strong>le</strong> mathématique fondée sur l’unité dans la diversité. » 45 N’est-il pas<br />

dès lors plus que probant de voir la même expression d’« unité dans la diversité » – attestant<br />

donc la richesse, la soup<strong>le</strong>sse de la régularité rythmique – utilisée éga<strong>le</strong>ment dans l’étude sur<br />

<strong>Perse</strong>, lorsque <strong>Senghor</strong> y précise d’entrée de jeu au sujet du rythme binaire qu’il perçoit<br />

comme dominant dans la métrique persienne :<br />

« Il est régulier, mais point monotone. Pour la raison que voilà et parce qu’à la crête du sentimentidée,<br />

de l’émotion-expression, comme d’une vague, jaillit un vers impair. L’unité dans la diversité,<br />

tel<strong>le</strong> est la loi majeure des poésies traditionnel<strong>le</strong>s. » 46<br />

L’œuvre de <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> est évidemment placée ici du côté de ces « poésies<br />

traditionnel<strong>le</strong>s » – ce qui, sous la plume de <strong>Senghor</strong>, est bien sûr plus que laudateur. Malgré<br />

<strong>le</strong>s fines subtilités de sa langue, 47 <strong>Perse</strong> <strong>le</strong> « rhapsodique » pourrait donc être condamné à tort<br />

– de la part d’esprits occident<strong>aux</strong> ne distinguant pas cette « unité dans la diversité » –, sous <strong>le</strong><br />

grief de monotonie, subissant en cela <strong>le</strong> même sort que <strong>le</strong>s <strong>poète</strong>s de la Négritude, car<br />

« Reprocher, à Césaire et <strong>aux</strong> autres, <strong>le</strong>ur rythme, <strong>le</strong>ur “monotonie”, en un mot <strong>le</strong>ur sty<strong>le</strong>,<br />

c’est <strong>le</strong>ur reprocher d’être nés “nègres”, antillais ou africains, et non pas “français” sinon<br />

chrétiens ; c’est <strong>le</strong>ur reprocher d’être restés eux-mêmes, irréductib<strong>le</strong>ment sincères. » 48<br />

Invariab<strong>le</strong>ment donc, tant dans ses aspects extérieurs que ses implications endogènes, <strong>le</strong><br />

rythme est considéré par <strong>Senghor</strong> comme <strong>le</strong> premier indice de l’originalité marquée de<br />

l’écriture persienne, enserrée par ail<strong>le</strong>urs dans une gril<strong>le</strong> interprétative qui ne manque pas de<br />

lui attribuer une négritude putative.<br />

C’est la notion d’image poétique qui fournit à <strong>Senghor</strong>, dans son étude de Liberté 1, <strong>le</strong><br />

second grand axe de sa <strong>le</strong>cture persienne. Rappelons tout d’abord que pour lui, l’image est<br />

l’autre élément constitutif du poème, pourvu qu’il soit étroitement associé au rythme – et il<br />

insiste souvent sur ce lien :<br />

« Mais l’image n’exprime pas la réalité essentiel<strong>le</strong>, la sous-réalité ; el<strong>le</strong> ne par<strong>le</strong> pas à notre<br />

imagination et à notre cœur, el<strong>le</strong> ne provoque pas l’émotion, l’ébran<strong>le</strong>ment de notre être si el<strong>le</strong><br />

n’est pas rythmée. Le rythme est consubstantiel à l’image. C’est, en dernière analyse, la substance,<br />

la sous-réalité de l’image. » 49 ; « L’image ne serait pas sentie, partant comprise, ne serait pas<br />

expression si el<strong>le</strong> n’était pas rythmée. » 50<br />

43<br />

Ibid., p. 338. C’est moi qui souligne.<br />

44<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « L’apport de la poésie nègre au demi-sièc<strong>le</strong> », ibid., p. 145.<br />

45<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « L’esthétique négro-africaine », in Liberté 1, op. cit., p. 212.<br />

46<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « <strong>Saint</strong>-<strong>John</strong> <strong>Perse</strong> ou poésie du royaume d’enfance », op. cit., p. 335.<br />

47<br />

Cette subtilité fait bien entendu l’objet d’analyses attentives de la part de <strong>Senghor</strong> dans son étude : cf. ibid., p.<br />

165.<br />

48<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « Comme <strong>le</strong>s lamentins vont boire à la source », postface d’Ethiopiques, op. cit., p. 165.<br />

49<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « Eléments constitutifs d’une civilisation d’inspiration négro-africaine », in Liberté 1, op. cit., p.<br />

281.<br />

50<br />

L.S. <strong>Senghor</strong>, « Le réalisme d’Amadou-Koumba », in Liberté 1, op. cit., p. 276.<br />

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