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Histoire & Culture : De 1860 à 1960, cent ans de photos à Angkor Par Surya – AGORA VOX – 01/12/2010 Henri Mouhot sort un calepin et un crayon de sa poche pour faire un rapide croquis du papillon qui vient délicatement de se poser sur la racine d’un arbre. Il n’a encore jamais vu un aussi beau spécimen de lépidoptère. Retenant sa respiration, il s’approche au plus près de son modèle, sans faire le moindre bruit malgré la couche de feuilles et de branchages qui tapisse le sol, tandis que les ailes irisées frémissent doucement, prêtes à s’animer de nouveau à la moindre alerte. De grosses gouttes de sueur perlent sur le front du naturaliste, sans qu’il puisse déterminer si elles sont dues à la touffeur de la jungle cambodgienne ou à la peur de voir s’envoler son magnifique spécimen. C’est alors qu’il entend un grand bruit au dessus de sa tête. Surpris, il lève des yeux interrogateurs. A moitié dissimulée par l’épaisse végétation et l’entrelacement de branchages, une colonie de perruches bleues traverse le ciel en piaillant à tue tête. Il y en a des centaines ! Mouhot ne peut s’empêcher de les admirer quelques instants, puis il baisse à nouveau les yeux… et constate avec dépit que son beau papillon s’est envolé. Il sort alors un mouchoir de coton blanc de sa poche, éponge son visage et son cou ruisselants, puis reprend avec son équipe la lente progression dans la mystérieuse forêt inconnue, écartant les feuillages et les lianes qui leur barrent le passage, surveillant les alentours afin d’éviter les cobras et autres serpents venimeux qui pourraient se faufiler entre les pieds des marcheurs, écoutant avec attention les crissements des insectes et la respiration de la forêt. Nous sommes en janvier 1860, et Henri Mouhot, un naturaliste français parti innocemment à la découverte du Cambodge, mais aussi du Laos et du Siam, sans se douter une seule seconde de ce qu’il va découvrir, est sur le point de tomber, par le plus grand des hasards, sur les ruines d’Angkor, enfouies dans la végétation depuis des siècles, et oubliées de tous. Les premiers explorateurs du 19 ème siècle. Cette scène de la progression de Mouhot dans la forêt cambodgienne est complètement imaginaire, car rien de semblable n’apparaît dans l’ouvrage qu’il a écrit pour relater son voyage en Asie du Sud Est. (1) Il affirme d’ailleurs au Roi du Cambodge qui l’a reçu être venu au Cambodge pour découvrir le pays et chasser, et ne rapporte dans son récit nulle activité naturaliste au Cambodge. Mouhot mentionne également qu’il a été conduit sur le site d’Angkor par un père-missionnaire rencontré dans la région. La version du naturaliste découvrant par le plus grand des hasards, au milieu de la jungle épaisse, des temples engloutis dans une végétation centenaire est un mythe et n’apparaît donc pas dans le récit du principal intéressé, néanmoins, étant plus romantique, c’est bien sûr celle-ci que l’on aimerait pouvoir retenir. Concernant les temples eux-mêmes, on trouve surtout dans le récit de Mouhot des descriptions, parfois assez techniques, qui font d’ailleurs penser à ce que pouvait écrire Jules Vernes dans ses romans, tel ce passage : « Cette chaussée traverse un fossé d’une grande largeur qui entoure le bâtiment, et dont le revêtement, qui a trois mètres de hauteur sur un mètre d’épaisseur, est aussi formé de blocs de concrétions ferrugineuses, à l’exception du dernier rang, qui est en grès, et dont chaque pierre a l’épaisseur de la muraille. » écrit-il au sujet d’Angkor Vat. Si l’auteur mentionne parfois l’émotion ressentie à la vue des temples, qui le fait d’ailleurs les comparer aux pyramides d’Egypte, il fait finalement assez peu passer cette émotion dans les écrits parfois assez rigoristes les concernant. Le livre de Pierre Loti (2) est beaucoup plus fort en émotions, même s’il lui arrive d’évoquer, presque avec agacement, la gêne que lui procurent la chaleur, les moustiques ou les innombrables chauves souris suspendues aux plafonds des galeries d’Angkor Vat. PSR Informations PSR-France, 69 rue de la Chapelle, 75018 PARIS 4ème Année Page 42

Cependant, même s’il se dégage surtout du récit de Mouhot une rigueur scientifique peut être propre à son époque, on imagine tout de même aisément le choc ressenti par les premiers explorateurs à la vue des vestiges endormis, ensevelis sous un enchevêtrement de lianes et de branches, et souvent prisonniers de gigantesques racines de fromagers, de ficus ou de frangipaniers. Mouhot ne fut donc pas le premier occidental à voir les vestiges d’Angkor, puisque quelques personnes les avaient redécouvertes avant lui, et ce dès le 16 ème siècle, et notamment le temple d’Angkor Vat, connu de tous dans la région mais dont les Cambodgiens de l’époque eux-mêmes ne pouvaient affirmer qui l’avait bâti, et avançaient nombre d’explications liées à la mythologie. Cependant, Mouhot fut le premier occidental à porter une réelle attention aux temples, à les décrire, et surtout à en faire de fidèles croquis et rapporter de véritables informations à leur sujet. Il commet cependant des erreurs bien compréhensibles, comme lorsqu’il affirme : « En tout cas, nous croyons que l’on peut sans exagération évaluer à plus de deux mille ans l’âge des plus vieux édifices d’Ongkor la Grande, et à peu près à deux mille celui des plus récents. » (3) Suivront en cette fin de 19 ème siècle d’autres explorateurs, notamment des officiers militaires comme Louis Delaporte, marin de son état et véritablement passionné par le Cambodge, par Angkor et l’art khmer. Il entreprit non seulement de mieux connaître les ruines, d’en faire de magnifiques gravures, mais également de rapporter en France (on peut même dire piller, même si à l’époque les choses étaient sans doute vues d’un autre œil), afin d’enrichir les musées occidentaux, un certain nombre d’œuvres d’art, lors de mémorables et périlleuses expéditions à dos d’éléphants. Si le récit de Mouhot marqua le début de la passion internationale que suscite encore de nos jours le site d’Angkor, Delaporte fut à l’origine de l’engouement du public pour l’art khmer, qui tarda pourtant à être reconnu puisque le Louvre lui-même refusa d’exposer les trésors qu’il avait rapportés. Delaporte persista, et ses efforts furent finalement récompensés par l’ouverture d’une aile entière au Musée Indochinois. De nos jours, on peut admirer une très belle collection d’antiquités khmères au Musée Guimet de Paris, dont l’un des magnifiques frontons du temple de Banteay Srei, rapporté clandestinement en France par André Malraux au début des années 1920. Un certain nombre de touristes vinrent également découvrir les ruines, comme le montre cette reproduction de l’affiche touristique de George Groslier, datant de 1911 ou 1912 (la date sur le poster n’est pas très lisible). « Excursions aux ruines par Saïgon et Phnom Penh. Hotel-Bungalow ouvert à Angkor toute l’année. Renseignements… » informe le texte écrit dans le macaron à droite. Restauration d’Angkor. C’est également au début des années 1860 que la France prit pied au Cambodge, appelée à la rescousse par le Roi Norodom afin de délivrer le pays des guerres incessantes qui l’opposait à ses voisins siamois et annamites. D’abord protectorat, le Cambodge devint ensuite partie intégrante de l’Indochine, une entité crée de toute pièce et rassemblant sous un même régime des peuples aussi différents que les Vietnamiens, les Laotiens et les Cambodgiens. Quelques années après les séjours au Cambodge d’Henri Mouhot et de Louis Delaporte, fut créée en 1900 à Hanoï la prestigieuse Ecole Française d’Extrême Orient (EFEO), qui entreprit dès 1907 de dégager de la végétation qui les étouffait et restaurer entièrement les temples oubliés de la jungle. Travail pharaonique et interminable consistant tout d’abord à établir des croquis et des photos du temple parfois déjà en partie effondré, prendre des notes, puis couper les racines dans lesquelles les temples étaient enserrés (en priant certainement pour que tout ne s’effondre pas, ce qui fut souvent le cas) dégager le temple du reste de la végétation qui l’étouffait puis démonter intégralement ce qui restait, numéroter PSR Informations PSR-France, 69 rue de la Chapelle, 75018 PARIS 4ème Année Page 43

Cependant, même s’il se dégage surtout du récit de Mouhot une rigueur scientifique peut être propre à son<br />

époque, on imagine tout de même aisément le choc ressenti par les premiers explorateurs à la vue des vestiges<br />

endormis, ensevelis sous un enchevêtrement de lianes et de branches, et souvent prisonniers de gigantesques<br />

racines de fromagers, de ficus ou de frangipaniers.<br />

Mouhot ne fut donc pas le premier occidental à voir les vestiges d’Angkor, puisque quelques personnes les<br />

avaient redécouvertes avant lui, et ce dès le 16 ème siècle, et notamment le temple d’Angkor Vat, connu de tous<br />

dans la région mais dont les Cambodgiens de l’époque eux-mêmes ne pouvaient affirmer qui l’avait bâti, et<br />

avançaient nombre d’explications liées à la mythologie. Cependant, Mouhot fut le premier occidental à porter<br />

une réelle attention aux temples, à les décrire, et surtout à en faire de fidèles croquis et rapporter de véritables<br />

informations à leur sujet. Il commet cependant des erreurs bien compréhensibles, comme lorsqu’il affirme : « En<br />

tout cas, nous croyons que l’on peut sans exagération évaluer à plus de deux mille ans l’âge des plus vieux<br />

édifices d’Ongkor la Grande, et à peu près à deux mille celui des plus récents. » (3)<br />

Suivront en cette fin de 19 ème siècle d’autres explorateurs, notamment des officiers militaires comme Louis<br />

Delaporte, marin de son état et véritablement passionné par le Cambodge, par Angkor et l’art khmer. Il entreprit<br />

non seulement de mieux connaître les ruines, d’en faire de magnifiques gravures, mais également de rapporter<br />

en France (on peut même dire piller, même si à l’époque les choses étaient sans doute vues d’un autre œil),<br />

afin d’enrichir les musées occidentaux, un certain nombre d’œuvres d’art, lors de mémorables et périlleuses<br />

expéditions à dos d’éléphants. Si le récit de Mouhot marqua le début de la passion internationale que suscite<br />

encore de nos jours le site d’Angkor, Delaporte fut à l’origine de l’engouement du public pour l’art khmer, qui<br />

tarda pourtant à être reconnu puisque le Louvre lui-même refusa d’exposer les trésors qu’il avait rapportés.<br />

Delaporte persista, et ses efforts furent finalement récompensés par l’ouverture d’une aile entière au Musée<br />

Indochinois. De nos jours, on peut admirer une très belle collection d’antiquités khmères au Musée Guimet de<br />

Paris, dont l’un des magnifiques frontons du temple de Banteay Srei, rapporté clandestinement en France par<br />

André Malraux au début des années 1920.<br />

Un certain nombre de touristes vinrent également découvrir les ruines, comme le montre cette reproduction de<br />

l’affiche touristique de George Groslier, datant de 1911 ou 1912 (la date sur le poster n’est pas très<br />

lisible). « Excursions aux ruines par Saïgon et Phnom Penh. Hotel-Bungalow ouvert à Angkor toute l’année.<br />

Renseignements… » informe le texte écrit dans le macaron à droite.<br />

Restauration d’Angkor.<br />

C’est également au début des années 1860 que la<br />

France prit pied au Cambodge, appelée à la rescousse<br />

par le Roi Norodom afin de délivrer le pays des guerres<br />

incessantes qui l’opposait à ses voisins siamois et<br />

annamites. D’abord protectorat, le Cambodge devint<br />

ensuite partie intégrante de l’Indochine, une entité crée<br />

de toute pièce et rassemblant sous un même régime<br />

des peuples aussi différents que les Vietnamiens, les<br />

Laotiens et les Cambodgiens.<br />

Quelques années après les séjours au Cambodge<br />

d’Henri Mouhot et de Louis Delaporte, fut créée en 1900 à Hanoï la prestigieuse Ecole Française d’Extrême<br />

Orient (EFEO), qui entreprit dès 1907 de dégager de la végétation qui les étouffait et restaurer entièrement les<br />

temples oubliés de la jungle. Travail pharaonique et interminable consistant tout d’abord à établir des croquis et<br />

des photos du temple parfois déjà en partie effondré, prendre des notes, puis couper les racines dans lesquelles<br />

les temples étaient enserrés (en priant certainement pour que tout ne s’effondre pas, ce qui fut souvent le cas)<br />

dégager le temple du reste de la végétation qui l’étouffait puis démonter intégralement ce qui restait, numéroter<br />

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