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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> casquette 99<br />

plus beau de tous les poèmes, parce que Goethe est le plus Grand des<br />

poètes et Faust le chef-d’oeuvre de Goethe. »<br />

Au nom de Goethe, il s’inclinait comme à la casquette de Weimar,<br />

et baissait un peu sa voix. De la colère lui ronflait déjà les tempes. « Pour<br />

comprendre Faust il faudrait un peu de génie, et vous n’en avez pas.<br />

Faute de génie il faudrait être Allemand, et vous avez dû naître dans le<br />

quinzième ou le quatorzième arrondissement ; vous n’êtes pas responsables,<br />

mais vous êtes punis sans être responsables.»<br />

Il y avait toujours un potache pour agiter ses pieds à ce moment du<br />

premier Octobre.<br />

« Ceux qui font du bruit seront exclus du Lycée Buffon. Je suis le<br />

plus ancien professeur du lycée. J’ai quatre agrégations. Monsieur le Proviseur<br />

obéit, si je demande une exclusion. Obéissez !... Je veux le silence<br />

; je l’obtiendrai. Je vous expliquerai Faust, car tel est mon devoir.<br />

Mon devoir envers Goethe ...» Il s’inclinait imperceptiblement. « Faust<br />

est au programme. Mais il y a quelque chose au-dessus du programme. »<br />

<strong>La</strong> colère montait. « Au-dessus des programmes, il y a Goethe ! Goethe<br />

!»<br />

Le nom de Goethe s’élargissait dans le silence, comme une fleur.<br />

« J’ai le silence, disait Moser. C’est bien. C’est à peu près tout ce<br />

que je puis obtenir des élèves du Lycée Buffon. Comprendre ? Vous ne<br />

comprendrez jamais.» Et, brusquement : « Qui, parmi vous, joue de la<br />

contrebasse ?» Neuf années sur dix, le silence pour toute réponse. « Voilà<br />

! disait Moser. Tout commence à la contrebasse. Savez-vous ce que<br />

c’est que les contrebasses dans la « Cinquième» ?» Il ironisait : « Je ne<br />

veux pas dire : dans la classe de Cinquième, classique ou moderne. <strong>La</strong><br />

Cinquième ! Vous !... Qu’est-ce que c’est que <strong>La</strong> Cinquième ? Je ne dis<br />

pas le Cinquième. Attention! Ce n’est pas un arrondissement.» Les élèves<br />

médusés. Les bras croisés, au plus dressé du prédicateur : « Voilà ! C’est<br />

irrémédiable. Ils confondent le et la Cinquième. Mais comment voulez-vous<br />

que je commente Faust ?»<br />

<strong>La</strong> colère le submergeait. Il sifflait les premières notes de la Cinquième.<br />

Sans un écho. « Tout est perdu ! Faust est perdu ! Goethe est<br />

perdu ! Vous n’irez jamais plus loin que la Danse Macabre de<br />

Saint-Saëns et les poèmes de François Coppée !»<br />

Enfin, il éclatait, de toute sa colère.<br />

« Vous êtes des Jean-foutre ! J’expliquerai Faust pour moi tout<br />

seul. Goethe l’a dit: Que t’importe si tu es seul ? Un vers sublime.» II<br />

ouvrait son Faust. « Prologue dans le Ciel, Messieurs ! Page 12 ... Pressons<br />

!» De ses lunettes de fer, il regardait les pauvres élèves que la terreur<br />

figeait. « Évidemment, cela vous fait rire. Petits-fils de Buffon que vous<br />

êtes, le ciel, pour vous c’est le ciel. Damnés naturalistes ! Le ciel de la

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