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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

pur que le cristal, il chanta le lied aux paroles étranges : « Ich bin die<br />

Princesin Ilse...»<br />

C’était la voix d’llse, du fond de son palais de vagues amoureuses,<br />

la Princesse qui persuade, qui attire, dont les bras sont aussi blancs que la<br />

neige ou l’écume des vagues, qui est l’amour ou qui est la mort, qui n’est<br />

peut-être que la transparence de l’eau. Et c’était, tout ensemble, la voix<br />

du garçon, qui désire l’amour ou la mort, comme le cavalier, dans la<br />

danse, inséparable de sa cavalière. Frôlement des robes de soie (ou de la<br />

vague sur le sable), éperons d’or, violon et cor ! Comme il serait beau de<br />

vivre d’amour, au-delà de la vie, de la mort ! «Je suis la vie» disait la<br />

voix de la Princesse ; celle du garçon : « Tu n’es peut-être que l’amour...»<br />

Ilse d’amour, impossible et dangereuse, qui vous boucherait les oreilles<br />

de ses mains blanches, à l’heure où la trompette sonne. <strong>La</strong> voix juvénile,<br />

comme un éclat de trompette, à la finale du lied ; comme si l’amoureux<br />

danseur dénouait les bras mortels, s’arrachait à la danse, piétinait la traîne<br />

de soie, qui n’était que de l’écume et de la vague transparente ; sourd désormais<br />

aux violons, au cor ; héroïque et dressé, pour la vie qui ne craint<br />

pas la mort, à l’appel déchirant de la trompette. L’échanson saurait mourir,<br />

lui aussi, s’il le fallait, comme il saura, le jour venu de l’initiation, ses<br />

aînés en cercle, tenir l’épée teutonique sans faiblir, balafrer le visage de<br />

son camarade qui lui balafrera le visage. À la sortie du Professeur Moser,<br />

au petit matin, tous chantant en choeur, sur deux rangs, ils lui firent une<br />

voûte de leurs épées.<br />

« Inoubliable ! Inoubliable !» répétait Moser, à chaque fois qu’il racontait,<br />

ou quand il apercevait la casquette sous globe de verre, principal<br />

ornement de son bureau. « Inoubliable !» Et il saluait la casquette ; légèrement<br />

incliné, les talons joints. Pour conter la réception inoubliable,<br />

Moser exigeait un auditeur de choix.<br />

Aux potaches du Lycée Buffon il ne l’avait jamais contée. Ils<br />

n’auraient pas compris. À la seule idée qu’ils ne pouvaient comprendre, il<br />

entrait en d’énormes colères. Comme pour le Faust, qu’il expliquait aux<br />

élèves de Philosophie. Le même cérémonial, tous les ans. Les élèves debout<br />

à leurs bancs, le premier jour entre peur et sourire. Moser, crâne rasé<br />

de la veille, entrait d’un pas mécanique et ne regardait pas. Il accrochait à<br />

la patère le pardessus demi-saison, montait à la chaire, tirait son Faust de<br />

sa serviette, tout droit dans sa chaire, comme un prédicateur. Alors, il regardait<br />

les élèves debout. « Asseyez-vous, Messieurs !» Ce n’était pas<br />

une prière, mais un ordre. Les élèves assis, il brandissait Faust. « Cette<br />

année, disait-il, nous lirons Faust. Du moins, nous essaierons. Faust est le

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