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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> casquette 97<br />

que je lève, je vous la donne de tout mon coeur. Mais, s’il faut encore<br />

nous battre, je jure de vous tuer de la même main !»<br />

Ce fut un tumulte indescriptible, une ferveur, une émulation de respect<br />

et d’honneur. Les Trente vinrent à cette flûte, qu’ils voulaient faire<br />

tinter contre la leur. Demi-Ganymède les deux derniers. L’un dit : « Aimez-vous<br />

la musique ?» L’autre : « Avez-vous un fils ? Avez-vous une<br />

fille ? J’aime-rais être leur compagnon.» Moser allait répondre, quand<br />

trente casquettes, comme des bouchons, les casquettes au plafond. Il<br />

n’eut pas le temps de répondre. Un autre étudiant, chef au-dessous du<br />

chef, commanda sa tournée, de vin du Rhin. C’était d’autres flûtes, plus<br />

épaisses, de verre teinté. Moselle après Rhin, de l’Allemagne à l’Italie, du<br />

chef au moins chef, on vida les flûtes, les coupes, Bohème ou Baccarat. À<br />

chaque tournée, Prosit ! mais sans échange de discours. C’eût été les<br />

mêmes. Le rite des trente coupes suffisait, à faire tinter l’une après<br />

l’autre, les talons joints, le buste légèrement incliné par révérence.<br />

Il ne manquait à Moser qu’une casquette verte à ruban de velours.<br />

Des cicatrices de guerre aux balafres de philologie, ils avaient décrété<br />

tacitement l’équivalence. Après un conciliabule des plus balafrés, tous en<br />

formation d’honneur pour le huitième ou dixième Prosit, le vieil étudiant,<br />

incliné au double, aussi grave et solennel qu’au sacre d’un empereur, présenta<br />

une casquette au Professeur et l’en coiffa. Coupes vers le ciel, ils<br />

entonnèrent a capella un hymne triomphal, plus propre à célébrer Dieu<br />

qu’une gloire de Professeur, de la basse la plus basse à l’aigu des anges<br />

(ou des Ganymèdes), mais aussi bien ils célébraient tout à la fois, la patrie,<br />

Dieu, la linguistique et la musique, l’Allemagne au-dessus de tout.<br />

Moser ne put retenir quelques larmes. Il connaissait ce chant. Il mêla<br />

sa voix aux voix, comme on prend sa place dans un cortège. À la question<br />

: « Aimez-vous la musique ?» c’était répondre par la musique. Et,<br />

pour répondre à l’autre question, quand l’hymne fut achevé, il sortit de<br />

son portefeuille le portrait d’une petite fille, comme si, ne sachant plus de<br />

quelle façon les remercier, il leur montrait le dedans de son coeur. Le<br />

portrait circula de main en main, délicatement. Des ah ! profonds de<br />

gorge et de poitrine ; des regards émerveillés.<br />

Les nattes blondes, les yeux d’offrande, la douceur, la candeur,<br />

pouvait-on s’attendre à cela ? Rien d’un minois chiffonné, à la française.<br />

C’était une véritable fillette allemande. L’échanson qui avait demandé :<br />

« Avez-vous une fille ?» en tremblait, le portrait dans le creux de sa<br />

main. « Gretchen !» soupira-t-il. Moser rectifia, par un soupir aussi, qui<br />

était un prénom : «Ilse ...» « Je suis la princesse Ilse ...» reprit l’échanson.<br />

Et, sans quitter le portrait des yeux, d’une voix adorante, d’un cristal plus

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