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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> casquette 95<br />

fesseur, il affirmait, à l’hilarité générale, que l’allemand de Sabir était du<br />

plus pur : des nuances, des finesses, un accent comme d’un hobereau.<br />

Du hobereau de même dans le geste, l’attitude, la démarche. Il osait<br />

un crâne tondu. et rasé plus que tondu. Il faut du crâne pour soutenir cette<br />

audace-là, mais il soutenait et triomphait, comme à sa thèse : on avouait<br />

que c’était un crâne. Nulle fioriture de barbe ni de moustache ; des lunettes<br />

d’acier, comme le crâne. Quand il surgissait à la tribune, dans les<br />

congrès internationaux, le professeur Gunther-Amédée Moser s’imposait<br />

aussitôt par le crâne. Un crâne allemand dessiné par Dürer, le front large,<br />

bombé, d’une architecture sabre et spirituelle, solidement accroché à la<br />

mâchoire, qui était forte sans être dure. Les lèvres nettes auraient pu sourire,<br />

et souriaient parfois au terme d’une contestation victorieuse ou d’une<br />

démonstration philologique. Pas le moindre soupçon de calvitie, malgré<br />

les tempes découvertes. Moser était obligé de raser son crâne tous les huit<br />

jours ; le poil lui poussait dru et roux. En un mois de barbe et de cheveux<br />

ce barbe-rousse eût été terrible. Il n’avait besoin de cette barbe pour<br />

l’être. Il était redoutable dans la dialectique. Sa seule présence transformait<br />

un congrès en champ clos. Il avait tant de lances à rompre, et toujours<br />

une dernière qu’on ne prévoyait pas, qu’on était fier de n’être vaincu<br />

et convaincu qu’à la dernière. Les étudiants à balafres se bousculaient<br />

pour l’entendre.<br />

Un jour, à Weimar, ils lui firent une ovation, lui réservant l’honneur<br />

de le recevoir, chopes ruisselantes, à leur maison privée, mieux gardée et<br />

plus inaccessible qu’un nid d’aigle. On vida des pots jusqu’au matin. Ils<br />

ne se lassaient pas d’admirer ce petit Français, qui n’avait du Français<br />

que le coeur, qui parlait un allemand si pur, qui était Allemand du crâne<br />

aux pieds, qui avait la vivacité d’un spadassin, qui leur promettait de les<br />

pourfendre, guerre échéant, la même vaillance à la baïonnette qu’au génitif.<br />

Sans haine ni rancune, au demeurant. Une lueur malicieuse derrière<br />

ses lunettes d’acier, il disait la guerre qu’il avait faite, de l’an Quatorze à<br />

Dix-huit, caporal puis lieutenant à barbe rousse, l’autre côté de Verdun,<br />

les citations, les blessures.<br />

Il relevait le pantalon, montrait les cicatrices, au genou, au mollet.<br />

Un mollet d’acier, lui aussi. Il expliquait qu’il avait servi dans un régiment<br />

de zouaves, ce que c’était qu’un zouave, et, sans sourciller, d’une<br />

franchise qui allait à l’âme, qu’il y avait de l’Allemand dans son cas, par<br />

l’ascen-dance ; que son Grand-père, plus Allemand qu’Alsacien, avait<br />

choisi la France, à l’annexion des deux provinces, que ce prénom de<br />

Gunther était précisément celui du grand-père. Gunther, cela disait Alle-

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