La Folie - MML Savin

Chapitre XII
Voué au bleu
Épuisée d’amours et de crimes superbes, elle glissa du lit, pieds
nus, jusqu’à l’une des fenêtres ouvertes. Le dôme au-dessus des toits était
d’un rose aussi pur que les cris des hirondelles. Les façades craquelées,
bosselées, les persiennes, les gouttières, les pavés en bas, tout était d’or.
Il y avait de la poudre d’or dans l’air de la matinée. L’air dansait. On le
voyait qui dansait et qui montait, du pavé de la cour aux mansardes.
C’était comme un voile, aussi transparent que l’air, où l’on suivait, où
l’on perdait des sortes de figures qui n’étaient d’abord que des figures de
l’air, des rosaces, des arabesques, des mouvements presque sans figure ;
mais, si l’on voulait, et surtout sans le vouloir, le triangle d’air était un
képi, trois képis dans un, la rosace portait monocle, l’arabesque bénissait
en arabesque, la crosse haut vers le ciel de France. Ou bien le mouvement
n’était que mouvement, d’entrer, de sortir, d’ouvrir de fermer une portière,
d’allonger deux jambes et des chaussettes à l’écossaise ; un journal
se dépliait, se repliait tout seul ; un veston croisé jonglait avec une valise
de sacristie ; la valise était si légère, ou le veston avait tant de force et de
jeunesse, qu’on aurait pu croire qu’elle n’était que de l’air qui avait pris
la transparence d’une valise. Les hirondelles du ciel rose se la disputaient
par dessus les toits. Les haut-parleurs hurlaient des noms de villes, qui
n’étaient que des cris d’hirondelles.
« Voilà ce que c’est, se disait Liliane à la balustrade ; toute la nuit
j’ai tué Marat et la République. Il ne doit plus rester de Marat dans le
monde ! Que c’était facile ! Trop facile ! Avais-je un poignard ?» Elle se