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La Folie - MML Savin

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78<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Liliane à la balustrade écoutait, regardait aussi. Cette lumière,<br />

là-haut, au quatrième, disait plus qu’elle ne voulait, ou se moquait de dire<br />

: une verrière à rideaux tirés, des ombres nettes sur les rideaux ; d’abord<br />

celle d’un homme, plutôt jeune homme ; une autre ombre parfois, à peine<br />

une ombre. Elle se détachait de l’ombre d’homme, ou plutôt sortait de<br />

cette ombre qui était la même toujours, celle d’un homme ; revenait, se<br />

confondait à l’homme. Drame d’amour ? Ou le bonheur sans drame ? Ou<br />

le drame sans l’amour ? Tous, de la cour et l’arrière-cour, devaient savoir,<br />

même si les ombres ne savaient pas. Dans le silence de trois heures,<br />

ces ombres vivaient leur drame ou leur bonheur à voix basse. Puis la lumière<br />

s’éteignit au quatrième.<br />

Liliane, dos à la balustrade, vers la pénombre de sa chambre,<br />

n’avait pas besoin d’interroger. Tout, dans sa chambre, répondait. Les<br />

Amours qui jouaient aux dés, à l’arc, à la marelle. Et ces deux bavards de<br />

fauteuils ; le lit, d’autant de large que de long, ne disait que lit ; c’était<br />

bien assez. Encore, sur le lit, sans rien dire, une robe de nuit, d’une merveilleuse<br />

soie, fastueuse à ravir, vraiment princière, si pudique, longue et<br />

fermée, qu’elle aurait déconcerté les arguments de la Supérieure. <strong>La</strong> robe<br />

devait l’attendre : pas une retouche à faire. <strong>La</strong> taille à la hauteur, que Liliane<br />

avait particulière ; le galbe du corsage, comme d’un glaïeul ;<br />

l’effacé rapide des épaules, à l’enfantine ; tout allait si justement que<br />

c’était miracle. Deux mules minuscules, de la même soie blanche, près du<br />

lit . « Je n’ai pas le pied si petit !» se dit-elle. Un pied dans la mule répondit<br />

que si.<br />

Elle fit un paquet de ses hardes de 1’Espérance : elle tassa tout ce<br />

gris bleu, ou vert de gris, dans un tiroir, la Supérieure avec ; pas Monseigneur,<br />

qui prêchait de la France, ni le buste de Néron enfant qui n’était,<br />

disons à part, qu’un gentil petit garçon. Et puis, droite toute droite, tige<br />

royale, elle fut pour la première fois Liliane à robe de lys. Elle sentait<br />

l’envie de sauter d’un fauteuil à l’autre, s’assit sur l’un, sauta ; mais il n’y<br />

en avait que trois. D’une main vague, elle se chercha des plumes sur sa<br />

tête « Mon dieu! ces cheveux!» Ce n’était encore que du tiré et du tortillé<br />

de collège.<br />

Liliane avait besoin, faute d’un autre regard, de se regarder au miroir.<br />

Elle y fut si belle, si parfaitement Liliane à Liliane qu’elle envoya<br />

des baisers à Liliane du miroir.<br />

À ce moment, à deux pas, une porte s’ouvrit dans la muraille, sous<br />

un Amour, qui ne jouait à rien. Madame la Supérieure aurait invoqué les<br />

saints Apôtres. Liliane, sans invoquer, s’en fut prestement jusqu’à la<br />

porte, examina la muraille et la porte. « C’est une porte », dit-elle. Malgré<br />

des années d’Espérance, elle avait l’esprit d’exactitude au naturel. Un

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