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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

temps de me dire : je me suis tué. Et puis je suis mort. C’est-à-dire que je<br />

me suis réveillé dans un lit, à l’hôpital d’Alençon. Mon camarade a roulé<br />

sous le camion, qui lui a broyé le crâne. Il a dû savoir qu’il se tuait, mais<br />

il ne s’est pas réveillé. Je suis sûr qu’il n’a pas eu peur.<br />

À l’idée de son camarade, il ne riait plus.<br />

- C’est bien assez de mourir. S’il fallait encore avoir peur !<br />

Pas tout à la fois ! <strong>La</strong> peur est pour ceux qui restent. Le chagrin aussi.<br />

Jambes allongées, il regardait ses souliers, les choquant l’un contre<br />

l’autre. Des souliers de sport, les chaussettes de couleurs vives, à<br />

l’écossai-se. L’écossaise et les souliers de sport, cela ne va pas avec la<br />

serge et le croisé du veston.<br />

- Vous savez, quand on meurt ce n’est pas difficile de<br />

mourir ; quand on ne meurt pas, c’est très difficile !<br />

Elle dit, et ne pouvait dire autre chose, même en rêve :<br />

- Et si l’on meurt pour la patrie ?<br />

- On meurt rarement pour, Mademoiselle. Ce serait tellement<br />

plus clair si l’on disait : par !<br />

Il imaginait peut-être l’un de ces monuments de villages, devant les<br />

églises comme elles sont partout, l’obélisque et le coq devant ou le coq<br />

au sommet de l’obélisque, et le petit gars, pierre ou bronze, qui s’appuie<br />

au soubassement, en mourant pour. Morts pour la France. Un rare passant,<br />

qui n’est pas du village, s’arrête à lire toute la liste, comme s’il<br />

connaissait les noms (Mathieu, Jacques, Mathieu, Pierre, Mathieu, Gaston..).<br />

Un sourire triste à imaginer la liste ; mais un autre sourire à ceci :<br />

au bout de combien d’années s’apercevrait-on du changement, si l’on<br />

changeait le pour en par ? On regarde si peu le monument, même les anciens<br />

du village. Et quel scandale ! Morts par la France, comme on dirait<br />

par le choléra... Un garçon garde pour soi ce genre d’imaginations, ne<br />

serait-il garçon que dans un rêve. Et ce devait être un rêve, car enfin ..<br />

Liliane s’embrouillait dans ce pour ou par, où la Soeur du parloir se<br />

serait perdue. Le jeune homme était-il professeur de grammaire ? Il avait<br />

trop de sport aux chaussettes, trop d’aisance au veston. Et puis (moue de<br />

dédain) professeurs ne voyagent pas en première. Liliane, habile aux<br />

mots, appliqua ce pour et ce par. « C’est la France qui nous appelle !..<br />

Pour elle un Français doit mourir !...» Elle essayait 1e par. Elle essaya et<br />

sursauta, le prononçant, comme on sursaute à la vipère. Le veston croisé<br />

était un fou, ou pire : un criminel, peut-être un républicain ! <strong>La</strong> Supérieure<br />

avait averti que le Malin partout avait des émissaires, même en<br />

première !

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