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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

encore le même message ! Et, sans honte, la signature au dessous, qui<br />

levait les jambes sur les affiches : Sophie Pontaincourt !<br />

« J’avoue que cette dame de jambes, puisqu’il paraît ... connaît aussi<br />

bien que moi les vitraux de ma cathédrale ; en tout cas beaucoup mieux<br />

que l’architecte conservateur.»<br />

<strong>La</strong> statue de la Vierge souriait toujours. <strong>La</strong> Supérieure, qui égrenait<br />

tout en parlant, n’avait plus de prétention au titre de Mère. Elle n’était<br />

que notre Mère la Supérieure : ce titre là incontestable. Elle priait sans<br />

doute en égrenant, mais ne disait plus : Prions ! Elle redoublait de délicatesse<br />

à respecter cette liberté des âmes, qui est le ciment de l’Église.<br />

Mieux valait. Car depuis le jour des sanglots à deux genoux, Liliane ne<br />

priait plus, s’était juré de ne plus prier. Elle articulait, elle chantait, elle<br />

récitait ; mais la prière est effusion, ouverture du coeur. Elle avait fermé<br />

le sien à Dieu, aux Soeurs, même à ses compagnes. Exacte à sourire, à<br />

rire, à hocher la tête d’un air de réflexion, à faire aller ses yeux et ses cils,<br />

sérieuse, douloureuse, selon les cas, à lancer de ces « Madame la Supérieure<br />

» qui n’avaient plus tout à fait la voix de Liliane mais celle déjà<br />

d’un grand oiseau de politesse. <strong>La</strong> Soeur du parloir n’osait plus dire que<br />

c’était un miracle de Dieu, mais, plumes à part, elle n’aurait plus distingué<br />

la fille de la mère. Vers ses dix-sept, elle se mit à sauter d’une chaise<br />

à l’autre, quand on menait les Grandes au jardin de la Supérieure. Un vol<br />

plus qu’un saut, ou bien le saut d’une danseuse ou d’un oiseau. Cela devait<br />

être le propre mouvement de ces longues jambes, dures, musclées,<br />

nerveuses qui, par des cuisses princesses, lui montaient très haut la taille,<br />

comme à une Diane ou à une Vénus de l’École française.<br />

Les ruses de la diplomatie de la Supérieure l’avait humiliée jusqu’à<br />

l’âme. À se souvenir des pleurs qu’elle avait pleurés à genoux, elle avait<br />

de la rage, à se barricader contre, si elle ne pouvait davantage. Ce n’était<br />

que légitime défense. Elle vécut quatre ans à simplement attendre. <strong>La</strong> prison,<br />

même de Dieu, n’était pas une prison pour toujours. Il ne lui venait<br />

un sursaut au coeur qu’à ses billets du Colonel, son parrain grand-père,<br />

qui ne faisaient rien pour être clairs ; mais le ton, celui de la race. C’était<br />

un ton qui avait du feu, qui aurait pu avoir des jambes ; quoi de plus clair<br />

? L’un des billets disait « Moi, j’attends. Je t’attends. Je ne te demande ni<br />

de m’atten-dre ni de m’aimer.» Ce billet là tira des larmes à Liliane, qui<br />

n’avait pas pleuré depuis le jour de son agonie filiale sur le parquet ciré.

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