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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

À force de regarder, Nestor avait conclu qu’il y avait un peu du Colonel<br />

dans le nez et dans le regard. Puis il avait ri tout seul, très haut, à<br />

s’en taper la guitare sur la cuisse. Les voisins du 9 et du 13, quand ils<br />

voyaient partir le Colonel (toujours à droite en sortant de la cochère), auraient<br />

parié que la guitare ... Ils n’avaient pas le temps de parier. À peine<br />

le Colonel vers Pasteur ou Vaugirard, c’était la guitare. Zing et zang, le<br />

chant sortait de <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, comme si la demeure de guerre et d’amour<br />

chantait son chant.<br />

Plus loin, au bout du jardin, c’était le vaste empire mécanique, nuit<br />

et jour, les trains de banlieue aux wagons d’argent, la marchandise, des<br />

voix impératives : « Allô ! Allô ! Le train 423, venant de Granville, entre<br />

en gare au quai 19.» Le petit enclos du Colonel, jardin et <strong>Folie</strong>, les deux<br />

platanes devant, les quatre tilleuls derrière, comme une presqu’île menacée,<br />

au nord d’un océan barbare.<br />

Tous ceux du 3 au 19 étaient menacés. Ils avaient reçu du papier,<br />

vert ou rose, officiellement timbré et paraphé. Premier avis, cinquième<br />

avis. Même, quelques locataires étaient partis. « Des fous ! » disait la<br />

concierge du 13, qui régnait sur les concierges. Et tous, du 3 au 19, répétaient<br />

: « Des fous ! » C’était plus simple.<br />

<strong>La</strong> concierge du 13, quand elle tenait ses assises (la <strong>La</strong>ngouste,<br />

c’était le surnom qu’on lui donnait) :<br />

- Allons ! Voyons ! disait la <strong>La</strong>ngouste, faut être raisonnable<br />

! Un immeuble comme mon 13, qui n’a pas loin de cent ans, qui est<br />

un bel immeuble ! Il y a une colonne de chaque côté de la porte cochère.<br />

Vous en trouverez, vous, des immeubles qui ont des colonnes ?<br />

Et elle désignait les colonnes.<br />

- C’est vrai qu’il y a des colonnes, disait-on.<br />

- Tiens ! Je ne le fais pas dire. Elles y sont. Et où que vous<br />

les transporterez, mes colonnes ? On ne peut pas les flanquer à la poubelle.<br />

Alors ?...<br />

<strong>La</strong> <strong>La</strong>ngouste triomphait. Elle croisait les bras, reculait, revenait,<br />

vous heurtait le coude de son coude, vous entraînait l’écart.<br />

- Et puis, vous l’entendez, la guitare ?<br />

- Quelle guitare ?<br />

- Comment : quelle guitare ? Vous avez des oreilles pour<br />

quoi, si vous n’entendez pas la guitare ?<br />

Elle vous saisissait par la manche, vous rivait sous le porche, presque<br />

dans la cour. On apercevait les deux platanes. Et là, faisant signe de<br />

se taire, et se plaquant une sorte d’énorme main sur le visage (la main<br />

bleue, le visage bleu) elle fusait par-dessous la main :

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