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La Folie - MML Savin

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Les nombrils 59<br />

avait besoin. <strong>La</strong> jeune pénitente, si elle avait regardé la Supérieure, de son<br />

regard entre les cils, ayant compris ce qu’elle avait pu, debout devant la<br />

mère supérieure, n’aurait été que l’arrogance, la haine, le refus ; mais elle<br />

baissa ses paupières sur son regard. Et la Supérieure, malgré les leçons<br />

d’Ignace, n’eut pas la finesse d’apercevoir ce feu de bravoure et<br />

d’insolence, ou d’héroïsme, que Saint Ignace aurait aperçu. Ignace, qui<br />

était soldat, aurait eu de quoi répondre. Mme la Supérieure de<br />

L’Espérance n’avait jamais été soldat. Le cas était difficile, comme écrivait<br />

l’Evêque-Archevêque, d’une plume d’académie.<br />

Les demoiselles de L’Espérance, en rangs, n’allaient jamais au cinéma,<br />

bien qu’il fût question, d’un trimestre à l’autre, de les y conduire.<br />

Au dernier conseil de l’Association des Familles, tous les pères : « Oui,<br />

nous conseillons de mener filles et fillettes au cinéma.» Joindre le monde<br />

et Dieu, le profane et le sacré, c’est la tradition même de Saint Ignace :<br />

qui avait eu son temps profane, les égarements avant la lumière. Le Président<br />

de l’Association des Familles avait beau plaider, invoquant la compétence<br />

de l’Évêque, s’il était là ; et qu’il y avait du génie en ces acteurs,<br />

en ces actrices ; et qu’Athalie de nos jours serait un film, Polyeucte un<br />

documentaire, la Supérieure balançait de la cornette, mais sa doctrine, en<br />

dépit d’Ignace, ne balançait pas. Elle demanda un délai, qu’on lui accorda.<br />

Dieu permit, à la nuit suivante, que la Supérieure eut un songe.<br />

Elles étaient toutes au cinéma, nonnes, nonnettes, et la Supérieure<br />

présidait, avec le Président de l’Association, côte à côte. Le démon<br />

d’abord les régala d’un Ciné-Journal patriotique, où l’on vit un vieux maréchal,<br />

trois ministres, le lancement d’un navire, et des cérémonies à<br />

Lourdes, qui faisaient oublier les ministres. Puis un documentaire sur les<br />

crocodiles (la Supérieure aurait préféré Esther ou Polyeucte.) C’étaient de<br />

loyaux crocodiles, presque aussi respectables que des messieurs décorés,<br />

et qui avaient du tremblement de la mâchoire à apercevoir seulement le<br />

drapeau français. Un père blanc, qui fit un sermon aux crocodiles, avait<br />

de l’éloquence presque autant que Monseigneur. <strong>La</strong> Supérieure crut qu’il<br />

allait convertir les crocodiles décorés. Ah ! les ruses du démon! Ce n’était<br />

plus qu’une affaire de quelques mots (Ils avaient un coeur tellement français,<br />

les crocodiles, qu’ils méritaient d’être catholiques!). Tout à coup,<br />

par la ruse du démon, les pattes torses qui pataugeaient à courtes pattes<br />

devinrent des jambes. Et quelles jambes ! Longues, déliées, musclées, et<br />

fines. <strong>La</strong> Supérieure doctement : « J’ai vu ces jambes-là quelque part !»<br />

Ce ne pouvait être qu’au couvent ou à Rome, car elle n’avait jamais quitté<br />

le couvent que pour Rome.

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