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La Folie - MML Savin

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56<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

je n’ai pas pleuré. Ni jamais depuis, lorsque je songe à mon père ; et souvent<br />

j’y songe.»<br />

Liliane, debout, avait un feu de bravoure, qui était au point<br />

d’intimider la Supérieure. Quelque chose de rauque et de sauvage dans la<br />

voix, qui n’était certes pas la douce chanson de l’humilité chrétienne.<br />

- Asseyez-vous, ma chère fille, je vous en prie, dit la Supérieure.<br />

Toutes les occasions ne sont pas héroïques. <strong>La</strong> mort de ceux que<br />

nous aimons n’exige de nous que du courage ; l’une des vertus humaines,<br />

certes ; mais elle n’est qu’humaine. On dit que les païens eux-mêmes<br />

l’ont connue.<br />

- Je ne sais pas si je puis avoir autre chose que du courage,<br />

dit Liliane, serrée à soi, un regard de méfiance entre les cils.<br />

- Je révère la mémoire de Monsieur votre père, continua la<br />

Supérieure. Dieu m’est témoin. Nous disons chaque année une messe<br />

d’anniversaire. Avec la permission de Monseigneur, nous avons participé,<br />

de grand coeur, à la cérémonie municipale, où l’on donna le nom de<br />

votre père à la place autrefois du Marché aux Grains. Souvenez-vous.<br />

Vous étiez déjà, depuis longtemps, notre très chère enfant. Nous fîmes<br />

une célébration dans la chapelle, où Monseigneur l’évêque archevêque<br />

prononça le panégyrique du Capitaine ; ce fut une pièce d’éloquence ;<br />

comme on pouvait l’attendre d’un prélat si prudent et si raffiné qu’il honore<br />

l’Académie Française de son mérite et de ses talents. Il ne manquait<br />

que la pourpre et le chapeau, que notre Saint-Père, à ce qu’on m’a dit, lui<br />

prépare si justement dans sa bienveillance apostolique. Et je me persuade<br />

que Monseigneur eût désiré le chapeau pour rehausser d’autant la pompe,<br />

qui fut très édifiante et très belle ...<br />

- Mais tout cela, interrompit Liliane, son mouchoir aux<br />

dents, ne me dit pas si j’ai perdu, si je dois pleurer ma mère, car j’ai le<br />

droit, elle, de la pleurer. À moins qu’elle ne soit morte pour la France !<br />

<strong>La</strong> Supérieure ne répondit pas aussitôt. Elle pria. D’abord à son<br />

chapelet, qu’elle avait toujours : on peut égrener partout et toujours. Liliane,<br />

entre les cils, regardait la Supérieure, qui égrenait. Il y avait de la<br />

rage, de la haine, une insupportable fierté dans ce regard entre les cils.<br />

Madame notre Supérieure voyait-elle, ne voyait-elle ? Si son esprit<br />

voyait, il ne voyait rien, que le bien. C’est donc à ne voir que le bien<br />

qu’elle se leva, et, désignant un prie-Dieu : « Ma fille !..» dit-elle. <strong>La</strong> Supérieure,<br />

sans ce luxe d’un prie-Dieu, se mit à deux genoux sur le parquet,<br />

devant la Vierge de L’Espérance. Pria, pria. Des Ave après des Pater,<br />

toutes les prières, les pria. Liliane, deux ou trois chapelets, s’accrocha<br />

au prie-Dieu, sentant bien qu’elle ne serait que néant et misère, si elle<br />

décrochait. Au quatrième chapelet, sans même savoir comment, elle priait<br />

sur le parquet, genoux à genoux, écroulée, s’écroulant, retenue au rem-

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