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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

d’une moustache bourrue : « À la bonne heure ! Il y a quatre ou cinq ans,<br />

on a planté des lys là-devant. Ma parole, je ne savais pas que ce serait<br />

devant ta fenêtre ! » Délicieux mensonge d’un grand-père !<br />

Madame la Supérieure (de cela quatre ans) avait appelé Liliane, et<br />

d’abord n’avait parlé de rien, que de Dieu, du salut de l’âme, des compositions<br />

trimestrielles... Liliane n’était pas première au classement, ni quatrième.<br />

Elle n’avait de passion qu’au dessin, dont on la blâmait la félicitant,<br />

lui disant qu’elle devrait tourner cette flamme vers le zèle et vers la<br />

prière. Elle ne l’y avait pas tournée. <strong>La</strong> Supérieure cependant au plus<br />

suave, au plus bénissant d’une Supérieure.<br />

- Mon enfant, dit-elle, après beaucoup de préliminaires,<br />

vous avez encore une mère puisque je suis votre Supérieure. On dit, de<br />

par le doux Jésus : Ma Mère la Supérieure. C’est donc que je suis votre<br />

mère ...<br />

Liliane, toute raide à son tabouret. On dit à la Supérieure : ma mère.<br />

On ne dit point ma mère, à sa mère. C’est autre chose. Une mère ne vous<br />

bénit point, ne vous entretient que fort rarement du Père, de l’Esprit et<br />

des Saints Apôtres. Liliane, du moins, l’imaginait ainsi : elle n’avait vu sa<br />

propre mère que deux ou trois fois depuis que son père était mort. Le parloir<br />

n’est pas un lieu où l’on peut être comme une fille le peut avec sa<br />

mère. Et cette mère du parloir, pas plus d’une fois pas an, n’était que<br />

cette visiteuse, élégante et fine, une dame à voilette, qui était légère<br />

comme la plume d’un oiseau ; mobile à ne pouvoir rester un instant immobile,<br />

elle ne s’asseyait que sur le rebord d’un fauteuil, et encore changeait<br />

de fauteuil : d’un fauteuil à l’autre, elle faisait tout le tour du parloir,<br />

en un quart d’heure de visite. Liliane suivait ce grand oiseau au plumage<br />

de soie, qui avait des plumes d’oiseau sur la tête, qui gazouillait ses<br />

: « Alors, Liliane, c’est tout ce que tu racontes ?» Mais elle, de fauteuil en<br />

fauteuil, ne racontait rien, se contentait de donner un peu de bouclant aux<br />

cheveux de la pensionnaire, ou de bouffant à la cravate, tournant la petite,<br />

la retournant, comme si elle voulait la voir et la revoir, devant, profil, derrière,<br />

l’autre profil. Elle se gonflait sa belle gorge d’oiseau en soupirant<br />

ou roucoulant : « Comme te voilà faite !» sans qu’il fût aisé de savoir s’il<br />

s’agissait du costume ou de la fille. Elle n’ôtait pas ses gants ; elle ne touchait<br />

que du bout des gants, mais d’une impulsion si vive, si impérieuse<br />

qu’elle tournait et retournait Liliane du doigt. À peine levait-elle un coin<br />

de sa voilette pour que sa fille l’embrassât, et Liliane s’en voulait, à cha-

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